De l'autre côté de la frontière, nous avons retrouvé la civilité et le bienfait qu'est l'absence de surveillance généralisée. (p. 100)
Ma vie était simple, réglée, coupée du monde environnant et du monde en général. Il n'y avait pas de télévision, pas de journaux étrangers, téléphoner en Europe était hors de question, mais cela me convenait parce que, pour la première fois, au lieu de me disperser, je me consacrais à une seule tâche, choisie par moi. (p. 13)
Pendant toute la durée de mes études à Pékin, qui se sont étendues sur trois ans, j'ai pu consacrer la moitié de ces moyens à l'achat de livres. L'autre moitié représentait encore un salaire de ministre.
Dans le monde d'alors, je ne pouvais pas partir plus loin. Les communistes avaient pris le pouvoir, ils avaient fermé le pays aux étrangers, personne ne savait ce qui s'y passait, ni ce qui subsistait du passé; on parlait de famine. J'enfreignais un interdit, en Suisse l'anticommunisme était virulent, et je partais vers l'inconnu. (p. 9)
Dans les mois qui ont suivi, les événements sont allés s'accélérant, dans notre vie et dans ce qui se passait autour de nous. L'existence réduite et réglée que le régime imposait à tous suivait son cours, mais une crise politique semblait se préparer, dont des éditoriaux de plus en plus enflammées et de plus en plus impénétrables étaient les signes annonciateurs. Il allait probablement en résulter une campagne semblable à toutes celles qui avaient précédé, au cours desquelles chacun devrait participer à d'interminables réunions politiques et protester de son indéfectible soutien à une "ligne" quelconque. On avait l'expérience de cet exercice qui était fatigant parce qu'il fallait faire semblant d'y croire et veiller à ne pas en être une victime, car il fallait des victimes pour servir d'exemples.
P61-62