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Citations sur Une rencontre à Pékin (24)

[Les affiches ] elles annonçaient que tous les habitants de Pékin qui avaient une mauvaise origine de classe et n'étaient pas nés dans la ville devaient regagner immédiatement leur lieu d'origine. (...) Cette mesure faisait partie des décisions "révolutionnaires" du moment. Wen m'a dit plus tard qu'à ce moment -là, son père était contraint de balayer la rue et de porter une étoile jaune : signe extraordinaire de la parenté qu'ont entre eux les régimes totalitaires. (p. 85)
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La veille du départ, j'avais rendez-vous avec Wen à Xinjiekou, près de chez elle. La fin de la journée était orageuse, le vent se levait, les passants pressaient le pas. Je lisais les affiches. Certaines étaient des annonces officielles de condamnations à mort. Un visa rouge, en bas à droite, signifiait qu'elles étaient exécutoires. Ce n'était pas nouveau. J'en avais souvent vu. D'autres m'ont effrayé. Elles annonçaient que tous les habitants de Pékin qui avaient une mauvaise origine de classe et n'étaient pas nés dans la ville devaient regagner immédiatement leur lieu d'origine. Les parents de Wen risquaient d'être chassés de chez eux et contraints de retourner dans leur village du Liaoning, en Mandchourie. Comment s'y rendraient-ils ? Comment y survivraient-ils, séparés de leurs enfants ? Ils ne survivraient pas. Cette mesure faisait partie des décisions «révolutionnaires» du moment. Wen m'a dit plus tard qu'à ce moment-là, son père était contraint de balayer la rue et de porter une étoile jaune : signe extraordinaire de la parenté qu'ont entre eux les régimes totalitaires. Quand elle m'a appris cela, elle ne s'y est pas particulièrement arrêtée. Elle ne savait pas d'où venait ce signe d'infamie. Pour elle, cette avanie s'ajoutait simplement à toutes celles que son père avait déjà subies.
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A la suite de cette entrevue ou d'une autre avec M. Ma, j'ai connu un moment de désespoir. De retour dans ma chambre, je me suis jeté sur mon lit et j'ai sangloté. Je me sentais totalement démuni et la pensée m'est venue qu'après tout les autorités avaient leurs raisons, qu'il fallait les accepter sans les comprendre, qu'il y avait une nécessité supérieure face à laquelle mes prétentions n'étaient rien. J'ai fait à ce moment-là l'expérience de l'abdication devant un pouvoir totalitaire, dont ce pouvoir tire toute sa force. J'ai trouvé dans cette défaite un moment de repos, voire de réconfort. Heureusement, cela n'a pas duré.
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Cette rencontre a eu lieu il y a un demi siècle. Je ne l'ai pas racontée jusqu'à ce jour parce que je ne savais pas comment m'y prendre. Je le fais maintenant pour qu'une trace subsiste d'événements qui ont tant marqué ma vie. Mes souvenirs sont lacunaires. Je n'ai rien noté à l'époque, on comprendra pourquoi, mais c'est peut-être devenu un avantage. Il faut s'être délesté d'une grande partie du passé pour que l'essentiel apparaisse.
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Peu après mon retour, une crise plus grave s'est emparée de moi. Pendant ma première année à Pékin, tout m'avait enchanté. La nouveauté de ce que je découvrais ne m'avait pas rendu aveugle aux aspects déplaisants de la réalité chinoise, mais en avait, pour ainsi dire, annulé l'effet négatif sur ma sensibilité. J'étais Stendhal en Italie. Le charme était maintenant rompu. J'étais privilégié, j'avais une chambre à moi, les cours que je suivais avec les étudiants chinois du département de littérature classique excitaient ma curiosité et les difficultés considérables que je rencontrais à cause de l'insuffisance de mon chinois ne faisaient que renforcer mon ambition. Mais la vétusté des équipements et la médiocrité générale de la vie quotidienne m'ont soudain accablé. Il régnait une monotonie due au fait que le régime interdisait toute initiative personnelle. Les étudiants chinois de ma volée n'avaient aucune idée de leur avenir, qui dépendait le moment venu des "besoins de la révolution". Je les côtoyais, mais ne pouvais les fréquenter, car seuls deux d'entre eux étaient autorisés à avoir des relations avec moi. Ils étaient chargés de m'aider dans mes études, ce qu'ils faisaient de leur mieux. Quand je leur disais que je n'avais pas été envoyé en Chine, mais que j'y étais venu de mon propre chef, ils ne me croyaient pas. Pour eux, c'était inimaginable. Ils ne savaient quasiment rien du monde extérieur.
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Dans le monde d'alors, je ne pouvais pas partir plus loin [NB : la Chine de 1963]. Les communistes avaient pris le pouvoir, ils avaient fermé le pays aux étrangers, personne ne savait ce qui s'y passait, ni ce qui subsistait du passé ; on parlait de famine. J'enfreignais un interdit, en Suisse l'anticommunisme était virulent, et je partais vers l'inconnu.
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Pendant ma première année à Pékin,tout m'avait enchanté. La nouveauté de ce que je découvrais ne m'avait pas rendu aveugle aux aspects déplaisants de la réalité chinoise, mais en avait pour ainsi dire, annulé l'effet négatif sur ma sensibilité. J'étais Stendhal en Italie. Le charme était maintenant rompu. (...)
...la vétusté des équipements et la médiocrité générale de la vie quotidienne m'ont soudain accablé. Il régnait une monotonie due au fait que le régime interdisait toute initiative personnelle. Les étudiants chinois de ma volée n'avaient aucune idée de leur avenir, qui dépendait le moment venu des "besoins de la révolution". (p.33)
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Quand elle était petite et que ses frères étaient à l'école, elle confectionnait avec de la ficelle, deux bâtonnets et une feuille de papier de petits cerfs-volants qui restaient invariablement accrochés dans les arbres. Elle ne se décourageait pas et en fabriquait d'autres. Dans une ruelle voisine, des religieuses européennes coiffées de grandes cornettes blanches tenaient un dispensaire et offraient des bonbons aux enfants. Wen admirait l'ordre et la rigueur qui régnaient là et a décidé qu'elle serait médecin.
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Il n'y avait pas le téléphone chez elle et je n'ai pas su son adresse. Nous continuerions à passer par sa soeur.
Le rendez-vous suivant a été tout différent. Sa soeur a trouvé le moyen de me faire savoir qu'elle voulait me voir tel jour, à telle heure, à l'entrée d'un parc de la banlieue ouest, situé au bord d'un canal et où passait très peu de monde. Nous avons échangé quelques propos anodins en poussant nos bicyclettes dans une allée déserte puis, s'arrêtant dans un endroit qui lui paraissait favorable, elle m'a appris que la police était venue trouver Wen, qu'elle était en danger et que nous devions soit cesser de nous voir, soit décider de nous marier et de lutter pour atteindre notre but quoi qu'il arrive. Ai-je été saisi de stupeur ? D'admiration, plutôt, pour le sang-froid dont la soeur faisait preuve. J'étais impressionné par la confiance qui m'était faite et heureux, au fond, qu'au romanesque se substitue aussi vite la nécessité d'agir. J'avais été maladroit jusque-là dans mes relations avec la gent féminine et j'avais décidé de ne plus rien entreprendre jusqu'au jour où je rencontrerais la femme avec qui je pourrais être heureux toute ma vie. Peut-être le moment était-il venu. J'avais aussi conscience de sortir à cet instant-là du monde artificiel dans lequel les autorités tenaient à confiner les étudiants étrangers. Je faisais un pas essentiel dans ma découverte de la réalité. Avant de nous séparer, la soeur m'a offert un petit livre qu'elle avait soigneusement recouvert de papier blanc, "L'art de la guerre" de Sunzi. Le message était clair : nous allions devoir nous battre et, le cas échéant, prendre l'adversaire au dépourvu pour l'emporter.
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Dans la Chine d'alors, c'était une chose extraordinaire que deux personnes s'adressent ainsi à un étranger. Que ce fussent deux femmes presque inconnues de moi ajoutait au romanesque et conférait à cette rencontre furtive un intérêt plus grand que toutes les histoires susceptibles d'être racontées sur une scène. (p. 22)
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