- C'est quoi tes cheveux ?
- Brushing météorologique, souris-je en secouant ma lourde chevelure brune. C'est du néobreton !
La solitude n'est pas une question d'entourage, Adèle. D'ailleurs, généralement, cette foule autour de moi ne fait que me rappeler à quel point je suis seule.
Arnaud, tu as été marié dix ans. Si je devais faire une comparaison, je dirais que ce mariage ressemble à un vieux chausson rapiécé mais confortable, qu'on n'ose pas jeter parce qu'il a le mérite de nous réchauffer les pieds. Tu n'as pas besoin d'une femme qui te réchauffe les pieds. Tu as besoin d'une femme qui te botte les fesses!
- Donc tu as tiré un trait sur la cuisine, c'est ça ?
- Oui, soupirai-je.
- Tu as lâché ta carrière flamboyante, ta place dans un palace de premier plan, les feux de la rampe, les émissions de télé et les livres de recette pour venir te terrer ici ?
- Oui. Ecoute...
- Tu as lâché tout ça, parce que tu n’en pouvais plus de la cuisine ? Parce que tu voulais quitter ce monde ?
- Joséphine...
- Et dans cet élan d’abandon, dans cette volonté d’oubli de la “cuisine” (elle mima férocement les guillemets), tu t’es dit que devenir serveuse dans un restaurant était une bonne idée ?
Je ne sais pas comment l'expliquer. C'est comme si, pendant des années, j'avais été dans le noir et que, soudain, une fille aux cheveux fous avait allumé la lumière.
- Elle finira par comprendre, vous savez.
- Comprendre quoi?
- Que c’est très bien de cuisiner seule, mais que manger à deux est nettement mieux.
Je ne sais faire que ça, Arnaud. Cuisiner. J'aime ça. J'aime voir les gens sourire quand ils dégustent leurs assiettes, j'aime voir leurs yeux pétiller de joie, j'aime me dire que je fais partie d'histoires d'amour, de demandes en mariage, de repas de famille, d'annonces de grossesse. Est-ce que vous réalisez ce que je vous propose ? Je vous propose de faire partie de ces moments-là, d'être au cœur de milliers d'histoires en général, et dans la mienne, en particulier.
Je jetai un dernier coup d’œil à la crêperie derrière nous.
Celle qui accomplissait les miracles.
Manger une crêpe au chocolat deviendrait compliqué. Adèle était devenue une mosaïque de souvenirs, la plupart doux, certains amers. C'était sa propre recette : de la force saupoudrée de créativité.
Elle avait cuisiné pour moi, comme promis.
Elle m'avait ébloui, comme à chacune de nos rencontres.
Elle m'avait envoûté, comme aucune femme avant elle.