Une enquête policière sur fond de féminisme !
C'est une Enola malheureuse que l'on découvre au début du roman. Enfant tardive (ce qui est mal perçu à l'époque), elle vit seule avec une mère qu'elle voit assez peu car entièrement préoccupée par ses aquarelles de fleurs, et les deux derniers domestiques du manoir, Mr et Mrs Lane. Son père est décédé et ses frères, beaucoup plus âgés, sont partis vivre à Londres à la mort de celui-ci. Comme elle le fait elle-même remarquer, Enola se lit "alone" à l'envers ("seule" en anglais)... "Enfant du scandale", l'adolescente a hérité de l'esprit d'indépendance de sa mère, préférant porter des knickers (pantalons courts) au lieu de s'habiller comme "une jeune fille convenable", s'instruisant par la lecture plutôt qu'avec une gouvernante, aimant se balader à bicyclette dans la campagne au risque de choquer le voisinage. La disparition de sa mère l'amène à se dévaloriser encore un peu plus : n'a-t-elle si peu d'importance aux yeux de Mère que celle-ci l'ait abandonnée sans aucun mot d'adieu ? L'arrivée de ses frères n'arrange rien : autoritaires et condescendants, Mycroft et Sherlock la traitent comme une enfant, voire un être inférieur, faisant preuve d'un sexisme écoeurant : "Je n'étais, après tout, qu'une enfant, et de sexe féminin de surcroît, donc à capacité crânienne limitée". "On ne devrait jamais accorder confiance à une femme", assène Sherlock, "que peut la logique quand on a affaire à une femme ?" N'ayant "jamais pu supporter qu'une femme ait du caractère", les deux aînés sont brouillés avec leur mère depuis qu'elle a exigé de gérer elle-même la propriété héritée par Mycroft (selon la loi en vigueur à l'époque). Pour autant Enola admire ses frères et donnerait cher pour qu'ils lui accordent "un brin d'intérêt" !
Dans la seconde partie du roman, revirement de situation ! On passe en mode aventure avec une Enola dégourdie et rebelle qui décide de retrouver elle-même sa chère mère, après avoir réussi à déchiffrer les messages codés dont elle est férue. Son chemin croise par hasard celui du jeune Tewksbury, un fils de duc qui, comme elle, fuit le carcan de sa situation sociale. Avec cette enquête parallèle, Enola découvre sa vocation ("Spécialiste en recherches, toutes disparitions") et se retrouve embarquée dans les bas-fonds de Londres. Transformée par sa liberté pleinement assumée, elle gagne en assurance, faisant preuve d'un esprit d'initiative et d'une ingéniosité à faire pâlir ses frères ! J'ai beaucoup aimé la façon dont elle transforme son corset, engin de torture imposé aux femmes, en objet utile servant à la fois de cachette à ses affaires et d'arme de combat (c'est solide, une baleine)!..
Et finalement la petite Enola mettra en échec le grand Sherlock, dépassé par la double disparition de sa mère et de sa soeur ! On apprécie au passage le clin d'oeil au personnage de Lestrade, l'inspecteur bien connu des aventures du détective, souvent dévalorisé par ce dernier, et qui lui, trouve de belles qualités à l'adolescente : "Elle m'a bien bluffé, en tout cas. Posée, s'exprimant avec aisance, sérieuse et réfléchie...". Pour une fois, c'est Sherlock Holmes qui n'est pas montré sous son aspect le plus glorieux ! Malgré tout, "il me manquait, lui que je n'avais pas vraiment connu". Si au final Enola ne retrouve pas sa mère, elle aura tout de même gagné en confiance, réalisant que "en récapitulant mes spécialités, je me sens moins ridicule que je ne l'avais cru !". L'essentiel est en effet d'avoir réussi à fuir les convenances qui l'étouffaient - comme Mère, dont elle pense avoir deviné ce qu'elle est devenue. On quitte la jeune fille plus déterminée que jamais à assumer sa nouvelle vie et à partir à la recherche de sa mère "un jour, quand il fera meilleur pour voyager"...
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