Citations sur 10 jours dans un asile (36)
"Je demandais cette fois une simple tranche de pain. Je reçus un morceau grisâtre, dur à s'y casser les dents. À certains endroits, la mie n'était que pâte séchée. J'y délogeai une araignée, ce qui m'en détourna définitivement. Je goûtai du bout des lèvres l'infect porridge et eux toutes les peines du monde à boire mon thé."
Voici toute l’attention qu’on voulut bien accorder à Mrs Louise Schanz. Une telle négligence est-elle pardonnable quand il est si facile d’obtenir les services d’un interprète ? S’il s’était agi d une détention de quelques jours, cela n’aurait effectivement peut être pas été nécessaire. Mais il était question d’une femme que l’on privait de sa liberté pour la jeter à l’asile, sans lui avoir donné la possibilité de se défendre ni lui avoir expliqué dans sa langue les raisons de cette sentence. Comparez cette situation à celle d’un criminel qui a toujours la possibilité de plaider son innocence. Ne préférez vous pas le sort du meurtrier, a qui il reste quelque espoir de vivre, à celui du fou, condamné à l’asile à perpétuité ?
« Ou sommes-nous ? demandai-je à l’homme qui avait les doigts enfoncés dans la chair de mon bras.
- L’asile de fous de Blackwell’s Island, votre dernière destination. »
Deux femmes avaient été mandatées pour garder l’entrée. La première portait une simple robe de coutil, mais la seconde s’était visiblement pomponnée. Elles étaient trapues et sans beauté, crachant entre leurs dents du jus de tabac avec adresse, à défaut de grâce.
L’idée m’était d’abord venue d’aller dans une pension de famille. J’aurais pu confier à son propriétaire que j’étais à la recherche d’un emploi, avant de simuler quelques jours plus tard un accès de folie. Mais je changeai d’avis et décidai de me rendre dans une pension pour travailleuses : une fois ses occupantes convaincues de ma folie, aucune ne trouverait le repos tant que je ne serais pas sous bonne garde.
De plus, pour le faire interner sur Blackwell’s Island, les amis devaient être des sans-le-sou, or, malheureusement pour moi, la seule personne pauvre de mon entourage était moi-même.
Laissez moi vous dire une chose : des mon entrée dans l’asile de l’île, je me suis départie de mon rôle de démente. Je parlais et me comportais en tout point comme d’ordinaire. Mais, chose étrange, plus je parlais et me comportais normalement, plus les médecins étaient convaincus de ma folie, à l’exception d’un homme, dont la bonté d’âme et l courtoisie restent gravées dans mon souvenir.
Cinquante-deux femmes s'avancèrent. Au ceinturon de cuir qui leur enserrait la taille était nouée une corde reliée à une charrette. A son bord, une infirmière pansait le pied d'une patiente. ‘Vous m'avez battue, pour sûr, je ne l'oublierai pas. Vous voulez me tuer’, s'égosillait cette dernière. Puis elle éclata en sanglots. Les ‘encordées’, comme on les surnommait, étaient tout entières à leur folie. Une femme au regard bleu qui m'avait surprise en train de l'observer se contorsionna et me maudit avec un sourire terrifiant qui révélait la pire des démences. Le diagnostic était sans appel. Pour qui n'a jamais vu un fou de près, l'horreur de ce spectacle échappe à tout entendement. (p. 88)
La véritable folie était de croire que je pourrais les berner.
Quelle chose mystérieuse que la folie ! J'ai rencontré des patientes aux lèvres scellées, condamnées au silence pour l'éternité. Elles vivent, respirent, mangent ; l'enveloppe humaine demeure, mais ce quelque chose dont le corps peut se passer mais sans lequel il ne peut exister est absent. Je me suis souvent demandée si ces lèvres dissimulaient des rêves secrets ou un vide abyssal.