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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
23.02.2021
Encore une fois. Je suis flou alors je renfloue un vieux billet disparu. Je le lui avais ecrit quand elle etait bebe. Elle a maintenant quatre ans et une petite soeur d'un mois. Je dois me preparer, etre en forme pour de nouvelles randonnees avec la nouvelle. Si elle me laisse du temps j'ecrirai de nouveaux billets. J'espere qu'elle (et vous aussi) sera comprehensive et conciliante…

NOCTURNO DE CHILE

Ma petite derniere etait une gueularde. Ses hurlements faisaient fremir les fondations de la maison. Je la sortais alors promener pour que l'air frais de la nuit et les tressautements sur les trottoirs cahotiques l'endorment. Je donnais aussi de la voix pour qu'elle se sente completement en securite. Ca allait de vieilles rengaines coquines du temps de ma mere (… la culpa la tiene Utrera / y el vagon de primera / y el vaiven del tren / y el vaiveeen del tren.) jusqu'a des ballades plus modernes, a ma sauce particuliere (… parslisay rosmary entaim / rimembermi touwan hulaivder / si ouanzouas etrou lovofmain.). Apres une longue randonnee on rentrait, calmes, le nez rouge, heureux = endormie!

Trente ans plus tard elle m'amene son hurlante a elle. Mais je n'ai plus la forme d'alors, les trottoirs sont moins cahotiques, et surtout beaucoup moins surs la nuit. Alors je chante intra muros, et quand elle est specialement longue a se detendre et mon repertoire ne suffit plus, je lui lis a haute voix mes livres du moment et de toujours. Elle aime ca. Elle aime ma voix, mon intonation, et elle apprecie les passages que je choisis pour elle. Elle en saisit le sens et la portee mieux que moi. Elle a souri a Nocturne du Chili. Qu'y a-t-il a sourire, ma petite fille? Qu'est ce que moi je n'ai pas compris dans cette histoire de decheance morale? Est-ce le rythme de l'ecriture de Bolano? L'alternance de longues et de courtes phrases? L'humour des histoires qu'il intercale dans la trame principale?

Je te souhaite de la chance, ma petite fille. Bolano nous a fait bien comprendre que la descente aux enfers est faite de millions de petites marches microscopiques. Il est tres difficile de se rendre compte qu'on a entame cette descente, et encore plus de savoir a quel niveau on se trouve. Je te souhaite que ton entourage te serve de boussole et non d'appat. Que tu aies la chance de pouvoir discerner les differentes teintes de gris. Que tu aies la chance d'aimer les plus claires. Que tu ne tombes pas dans un engrenage que tu n'auras pas pu pressentir a temps, comme le heros de Nocturne du Chili, Sebastian Urrutia Lacroix. Pour que tu n'aies pas l'impression qu'il a en conclusion de sa vie, d'etre dans une tempete de merde. Je te souhaite la chance d'avoir du discernement. Et surtout je te souhaite la chance d'avoir le choix. Dors, ma petite fille.

Souris, ma petite fille. Je te souhaite de lire Nocturne du Chili quand tu seras grande. Bolano y traite du passé, des annees de fer de la dictature de Pinochet, mais il ecrit pour l'avenir, pour toi. Il y traite de ce que d'autres ont appele "la trahison des clercs", d'une certaine inconstance sinon impuissance de la litterature, mais il croit encore aux mots, a l'espoir qu'ils peuvent eveiller, au baume qu'ils peuvent dispenser. C'est pour cela qu'il a ecrit comme un forcene jusqu'a son dernier souffle. Je te souhaite de lire Bolano, ma petite fille. Dors.
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J'admire toujours la volonté de Bolaño de mettre en scène des personnages qui n'ont pas grand-chose de sympathique – ça demande un certain courage, je crois. Dans ce livre-ci, c'est un prêtre chilien, critique littéraire mais aussi poète à ses heures, qui se croit sur le point de mourir & qui fait le récit un peu éparpillé de sa vie. Il s'adresse à un jeune homme « au visage vieilli » pour – quoi ? Se justifier ? Expliquer ? Faire l'étalage de sa culture ? Un peu de tout ça, peut-être ; c'est pas clair. C'est pas non plus très clair qu'est-ce que le jeune homme vient faire là-dedans. La chronologie est floue, on est au Chili, on sent le coup d'État passer, il y a même Pinochet qui occupe quelques pages – mais tout a quelque chose d'un peu irréel, on sent qu'on navigue dans les souvenirs parfois flous de quelqu'un qui, peut-être, n'a pas l'esprit tout à fait clair.

C'est Bolaño.

'Nocturne du Chili' n'est pas le meilleur livre que j'ai lu de lui, mais ça reste tout même un objet littéraire très Bolaño-esque : étrange, troublant, plein à craquer d'images qui tombent comme inévitablement dans le post-apocalyptique. & difficile à résumer, à circonscrire. C'est un livre court qui parle de littérature, & de la place de la littérature dans la vie, dans la vie mais aussi dans l'Histoire avec un grand H : est-ce que la littérature devrait être un refuge pour qui ne veut pas s'engager dans son époque ? Est-ce qu'il y a quelque chose de beau dans le fait de relire les tragiques grecs quand le pays vit des horreurs, ou est-ce que c'est juste lâche ? Qu'est-ce qui arrive si la personne qui lit, ici, est un prêtre assez à qui on peut reprocher un certain égoïsme, une vague sympathie pour la droite, de drôles de noirceurs? Est-ce que ça change quelque chose ? Est-ce qu'on pardonne plus aux gens qui se passionnent pour l'art ? Ou moins ?

C'est surtout ce qui m'a impressionné dans ce livre : cette qualité qu'a Bolaño, celle de circonscrire la place de la littérature dans la vie, d'en souligner les limites & les contradictions – & sans que ce soit inutilement lourd, ou pédant, ou fabriqué. Dans son univers, tout est compliqué. Les personnages sont compliqués. La vie est compliquée. Qu'est-ce qui reste, sinon de poser des questions ?
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Roberto Bolaño est un malin (ou plutôt "était" puisque cet auteur talentueux est malheureusement et brutalement décédé en 2003 à l'âge de cinquante ans)... il m'a en effet laissé le sentiment, avec son "Nocturne du Chili", de m'avoir amenée exactement là où il le voulait, mais de façon tellement subtile que je m'y suis retrouvée sans avoir eu le temps de prendre conscience du chemin emprunté...

"Nocturne du Chili" est un long monologue, celui du père Ibacache, que l'on devine mourant, et qui n'a visiblement pas la conscience tranquille. Autant vous prévenir d'emblée : le narrateur ne nommera, n'expliquera jamais vraiment les raisons de cette culpabilité latente, et il n'est d'ailleurs pas certain qu'il se les énonce clairement à lui-même.
Mais petit à petit, par de menus indices, des allusions, voire des faits, nous comprenons qu'il s'agit de la culpabilité de ceux qui, face à une situation qui aurait dû provoquer une réaction de révolte, n'ont rien fait, et qui, par cette attitude passive, ont tacitement accepté ladite situation.
En l'occurrence, c'est de la dictature instaurée au Chili suite au coup d'état du général Pinochet dont il est ici question, des exactions (meurtres, tortures...) qui furent alors commises, et que le père Ibacache n'a pu ignorer.
Également critique littéraire, ce dernier eut par ailleurs l'occasion de rencontrer de nombreux écrivains chiliens, dont le poète Pablo Neruda, par l'intermédiaire d'un grand propriétaire terrien amoureux d'art et de culture, ce qui ne l'empêcha pas de considérer favorablement l'accession au pouvoir du général avec un opportunisme glaçant.

Car c'est là aussi que réside le propos de Roberto Bolaño : le fait d'être cultivé, d'apprécier la littérature et la poésie, ne protège ni de la lâcheté, ni de la mauvaise foi -et ce dans les deux sens du terme ! Si elle n'était pas aussi affligeante, l'attitude du père Ibacache, qui, durant les périodes les plus troublées de la dictature, se replonge dans la lecture des philosophes grecs, en serait presque risible !
Comme s'il pouvait racheter en s'imprégnant d'un humanisme tout théorique son incapacité à mettre ce même humanisme en pratique... livres ou soutane faisant office de paravent pour cacher -en premier lieu à soi-même- ce qu'implique cette contradiction.

Dans la mesure où l'auteur donne la parole à un individu qui peine à assumer ses faiblesses, et qui, même au seuil au de la mort, se cherche encore des excuses, cette problématique de la responsabilité individuelle est plus suggérée que clairement exprimée.
Et pourtant, il parvient ainsi à nous amener à formuler nous-mêmes ce qui transparaît peu à peu au cours de la lecture : que reste-t-il des beaux principes théoriquement si faciles à défendre lorsque l'on se retrouve en position de les appliquer ? Jusqu'où, lorsque l'on n'est pas directement menacé, sommes-nous prêts à nous impliquer pour combattre l'injustice et la barbarie ?

Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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