Héritage

Marcher dans la rue le soir était interdit, avoir les cheveux longs était un délit, lire de la poésie était suspect. Ils voulaient construire un moulin, alors ils interdisaient le vent.

« Personne dans la maison ne comprit comment on pouvait se battre pour une région où l’on n’habitait pas. » (p. 19)

Obligée de prendre une décision, seule dans son cockpit, elle eut des sanglots âpres qui l'étranglèrent. A contrecœur, Margot tourna ses canons vers Ilario, la main tremblante, referma la paume sur le manche qui se contracta comme une gangue et mit le doigt sur la gâchette, prête à abattre le seul homme qu'elle aimait comme un frère. Elle allait tirer quand, au bout de son parachute, Ilario tourna vers elle son profil joufflu, avec ses petits yeux de cosaque, et lui sourit. Tout parut se résoudre en une fraction de seconde. Dans un ultime geste, il lui fit un signe de partir, de se sauver, de ne pas porter en elle ce crime. La guerre ne devait pas gagner sur les hommes. Il leva le poing, haut dans le ciel, et, tandis qu'il tombait vers la mort, toucha le drapeau chilien qu'ils s'étaient cousu ensemble sur l'épaule.

Il avait décidé de s’installer à Santiago, dans une petite maison aux abords de la ville, où il invitait Ilario Da pour lui ouvrir les coffres de son imagination dans une pièce remplie de volumes en peau de veau qui avaient traversé la Cordillère à dos de mule. Il lui évoquait un univers où vivaient des communautés de femmes guerrières, où des géants se transformaient en statues de bois et où des filles naissaient dans le feu des cannes à sucre. Quand Ilario Da lui demandait où se trouvait ce pays de merveilles, Aukan pointait la bibliothèque derrière lui et s’exclamait avec un mouvement exalté :
- Ce pays est dans les livres.

Elle n'éprouva ni vertige ni crainte. Seulement la puissance animale de cinq cents chevaux de métal qui l'arrachèrent au sol dépliant leurs ailes fauves. Elle monta si haut qu'elle eut l'impression que le pays tout entier lui apparaissait d'un seul coup. De gros nuages se fendaient en bosses et protubérances. Les formes étaient tournées, galbées, bombées comme des jarres, suspendues comme des coraux, pleins de veinures secrètes, tout obéissait à des emblèmes féminins. Elle confirma à cet instant que le nom du ciel ne pouvait être masculin. Elle ne pouvait croire que les premiers aviateurs aient été des hommes. À le voir, le ciel était d'une féminité explosive, aux rondeurs corollaires. Cette demeure était faite comme un nid, un sein, prouvant que les premières civilisations des nuages avaient été matriarcales.

D’autres voix se joignirent à la sienne et la Villa Grimaldi, l’espace d’un instant, plongea dans un recueillement profond pour écouter cette musique, et il sembla à Ilario Da qu’on ne les avait pas encore complètement tués, qu’ils étaient encore capables d’élever par-dessus les murs, par-dessus les barbelés, par-dessus les bandages, un même rêve qui parle d’un retour et d’un front flétri.

En grandissant, [Ilario] se révéla être un garçon timide, tendrement maladroit, une sorte de poète naïf. Rien n’annonçait chez cet être la part héroïque et sublime, houleuse et bruyante, qui devait se confirmer sur un champ de bataille, bien plus tard, pendant une guerre où il jouerait un rôle capital.

Elle confirma à cet instant que le nom du ciel ne pouvait pas être masculin. Elle ne pouvait croire que les premiers aviateurs aient été des hommes. A le voir, le ciel était d’une féminité explosive, aux rondeurs corollaires. Cette demeure était faite comme un nid, un sein, prouvant que les premières civilisations des nuages avaient été matriarcales.

... sans jamais y avoir été, le jeune Lazare Lonsonier imagina la France avec la même fantaisie que les chroniqueurs des Indes avaient probablement imaginé le Nouveau Monde...

Thérèse était alors au sommet de sa grâce Elle avait quarante-quatre ans et son air d'Occitane, énamourée et avenante, éveillait chez les autres une confiante chaleur. Bien qu'elle eût une tendre expression de fleur fanée, elle appartenait à cette catégorie de femmes qui, par l'architecture de leurs traits, par la justesse de leurs formes, demeurent, par-delà les années, loyales à leur jeunesse.