Citations sur L'Aleph (120)
L'ALEPH
Il me relut ensuite quatre ou cinq pages du poème. Il les avait corrigées selon un mauvais principe de pompe verbale: là où il avait écrit d'abord "bleuté", il multipliait les "azuré", les bleuâtre" et même les "azurin". Le mot "laiteux" n 'était pas assez laid pour lui; dans l'impétueuse description d'une laverie de laine, il préférait "lactaire", "lactiforme", "lactescent", "lacté".
Modifier le passé n'est pas modifier un seul fait ; c'est annuler ses conséquences qui tendent à être infinies. En d'autres termes, c'est créer deux histoires universelles.
; il signala que le docte Ibn Qutaiba décrit une superbe variété de la rose perpétuelle, qui croît dans les
jardins de l’Indoustan et dont les pétales rouge incarnat portent des caractères qui disent : Il n’y a pas d’autre dieu que Dieu. Mohammed est son prophète.
Je méditais sur ma demeure.Toutes les parties de celle-ci sont répétées plusieurs fois.Chaque endroit est un autre endroit Il n'y a pas un puits, une cour , un abreuvoir ,une mangeoire;Les mangeoires, les abreuvoirs ,les cours , les puits sont quatorze .La demeure a l'échelle du monde ou plutôt , elle est le monde .
Qui a entrevu l’univers, qui a entrevu les ardents desseins de l’univers ne peut plus penser à un homme, à ses banales félicités ou à ses bonheurs médiocres, même si c’est lui cet homme. Cet homme a été lui, maintenant que lui importe ?
Il n’y a pas d’homme qui n’aspire à la plénitude, c’est-à-dire à la somme d’expérience dont un homme est capable : il n’y a pas d’homme qui ne craigne d’être frustré de quelque partie de ce patrimoine infini.
« Argos, criai-je, Argos. »
Alors avec étonnement, comme s'il découvrait une chose perdue et oubliée depuis longtemps, Argos bégaya ces mots : « Argos, chien d'Ulysse. » Puis, toujours sans me regarder : « Ce chien couché sur le fumier. »
Nous accueillons facilement la réalité, peut-être parce que nous soupçonnons que rien n'est réel. Je lui demandai ce qu'il savait de l'Odyssée. L'usage du grec lui était pénible ; je dus répéter ma question.
« Très peu, dit-il, moins que le premier rhapsode. Il y a déjà mille cent ans que je l'ai inventée. »
À l'impression d'antiquité inouïe, d'autres s'ajoutèrent, celle de l'indéfinissable, celle de l'atroce, celle du complet non-sens. J'étais passé par un labyrinthe, mais la très nette Cité des Immortels me fit frémir d'épouvante et de dégoût… Un labyrinthe est une chose faite à dessein pour confondre les hommes ; son architecture, prodigue en symétries, est orientée à cette intention. Dans les palais que j'explorai imparfaitement, l'architecture était privée d'intention.
"O roi du Temps, Substance et Chiffre du Siècle ! En Babylonie, tu as voulu me perdre dans un labyrinthe de bronze aux innombrables escaliers ,murs et portes. Maintenant, le Tout-Puissant a voulu que je montre le mien, ou il n'y a ni escaliers à gravir, ni portes à forcer, ni murs qui empêchent de passer."
Il le détacha et l'abandonna au cœur du désert, où il mourut de faim et de soif.
« Le diamètre de l’Aleph devait être de deux ou trois centimètres, mais l’espace cosmique était là, sans diminution de volume. » (p. 135)