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Critique de Mermed


Borges aimait voyager dans des endroits qu'il avait toujours voulu connaître: l'Égypte, où il avait empoché une poignée de sable ; l'Islande où, dans une église en ruine, il avait récité le Notre Père en anglo-saxon ; le Japon, où il avait discuté du bouddhisme avec un prêtre shinto.
Vladimir Nabokov a déclaré qu'à la première lecture de Borges, il pensait être tombé sur un portique nouveau et merveilleux, mais que derrière la façade il n'a rien trouvé. Pauvre Nabokov ! Ce qu'il considérait comme rien est, en fait, tout ou la possibilité de tout : chaque histoire, chaque réflexion, chaque pensée et chaque événement, tout est contenu dans ce que Borges appelait, dans l'un de ses meilleurs récits, la Bibliothèque de Babel, le récipiendaire de chaque livre, passé, présent et futur. Ce que Borges offre à ses lecteurs c'est une éthique, une méthode pour l'art de lire, c'est-à-dire pour l'art de suivre un fil révélateur à travers le labyrinthe de l'univers des mots.
Les lectures de Borges étaient particulièrement éclairantes et originales. Ils éclairaient des coins inattendus du texte, et ses commentaires étaient originaux non pas parce qu'il était le premier à les faire, mais parce qu'il était le premier à nous rappeler que de telles perceptions existaient. L'écouter lire (ou plutôt, puisqu'il était aussi aveugle qu'Homère, l'écouter commenter les textes qui lui étaient lus à haute voix par des lecteurs) était toujours une révélation. Il a insisté sur le fait que ses lectures étaient des redécouvertes. Il a par exemple cité Bacon qui citait Platon lui-même citant (par hasard) le roi Salomon, pour le prouver : « Ainsi, comme Platon l'avait imaginé, toute connaissance n'est que souvenir ; c'est ainsi que parle Salomon pour qui toute nouveauté n'est qu'oubli.”
Ses observations d'une extrême finesse colorent les lectures même de ceux qui ne l'ont pas lu, car elles font désormais partie de la façon dont tant d'écrivains pensent et écrivent, des écrivains aussi divers que Marguerite Yourcenar et Umberto Eco, Italo Calvino et George Steiner, Salman Rushdie. Son intelligence claire l'a amené à définir l'ambiguïté essentielle au coeur de toute oeuvre d'art, accordant ainsi aux lecteurs la permission d'apprécier et pourtant de ne pas comprendre pleinement : « L'imminence d'une révélation qui n'a pas lieu, écrit-il, est, peut-être, le fait esthétique.”
Il a observé que chaque écrivain crée ses propres précurseurs. Il a dit aux lecteurs qu'ils étaient, autant que lui, des créateurs littéraires. Il a accepté le sentiment commun d'irréalité déconcertante qui imprègne parfois chaque lecteur et a pourtant admis la connaissance écrasante que, malgré cela, nos vies sont horriblement réelles ("Le temps est un tigre qui me dévore, mais je suis ce tigre", a-t-il admis dans "Une nouvelle réfutation du temps". "Le temps est un feu qui me consume, mais je suis ce feu. le monde, hélas, est réel et moi, hélas, je suis Borges").
C'était un homme modeste, qui n'avait aucune envie d'être célèbre. Il a dit qu'il n'aspirait qu'à l'oubli. Il décrivit dans une courte et extraordinaire parabole comment Shakespeare, fatigué d'être autant d'hommes, espérait n'être qu'un seul homme, et comment Dieu, celui qui rêva Shakespeare, reflétait le désespoir de son rêve dans sa propre résignation cosmique. Ce miroir était, pour Borges, qui détestait les miroirs, une sorte de consolation. Surtout, il croyait, espoir contre espoir, qu'il était de notre devoir moral d'être heureux.
Lors de son derniers séjour à Paris, Borges avait assisté à une représentation de Macbeth et malgré la misérable représentation de la pièce, il avait quitté le théâtre ”brisé par une passion tragique”. “Comme c'est curieux, dit-il, que le génie de Shakespeare puisse même vaincre les efforts d'un mauvais acteur.“ Il en va de même pour Borges dont le génie lui permet de l'emporter sur toutes les traductions même catastrophiques.
Mais peut-être peut on se résigner à la tâche non impossible d'apprendre l'espagnol, ce qui nous fait perdre moins de temps que de lire l'essentiel de la production actuelle...


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