Je ne prise pas particulièrement le genre de la nouvelle (il paraît que c'est propre à la France...) , mais j'avais tant aimé
la Vie d'Arseniev, du même auteur, que je passai outre mes préventions. J'avoue sans honte que je me suis un peu ennuyé à lire ces trente huit nouvelles, certaines très courtes ( deux pages) , d'autres plus conséquentes (la plus longue Nathalie, doit faire quarante pages). Toutes elles sont dédiées aux femmes ; à l'amour des femmes par les hommes plus précisément. Et dans le mot "amour" il faut y inscrire toutes ses variantes , de l'idéal platonique de l'étudiant de retour au manoir familial amoureux de sa cousine, au viol furieux de la servante de l'auberge par un barine en voyage. On sent qu'il y a du vécu là-dedans.
Jacques Catteau dans son intéressante préface (dans l'édition biblio du LDP) , nous dit d'ailleurs que Bounine dans ses vieux jours regrettait la façon un peu...cavalière avec laquelle dans sa jeunesse il se comportait envers la gent féminine. On ne s'étonnera donc pas qu'aucune histoire d'amour contée par Bounine ne se termine bien. A la fin de ces nouvelles les héroïnes se pendent , se noient, entrent au couvent, sont réduites au sort de mendiantes...les hommes ne sont pas épargnés : suicides, condamnation au bagne, errance continuelle, vie mondaine dissolue.....Bounine aurait pu faire sien le poème d'
Aragon : "Il n'y a pas d'amour heureux"... et dire avec
Cioran : " Nous aimons toujours....quand même ; et ce "quand même" couvre un infini ".
Bounine est un désabusé mélancolique. Nostalgique de la Russie d'avant. Il a écrit ces nouvelles en France pendant une période noire (1940-45) ce qui certainement a renforcé son profond pessimisme . Au delà du propos premier de ces nouvelles il y a toujours chez lui ces merveilleuses évocations de la vieille Russie d'avant l'arrivée des" horribles" soviets (évidemment Bounine et sa famille étaient des privilégiés et l'exil en France lui sembla insupportable tout au long de sa vie). Assurément on pense à Tchekov comme dans la première phrase qui ouvre la nouvelle qui donne son nom au recueil .
"Par une journée froide et pluvieuse d'automne, sur l'une des grandes routes de la province de Toula, inondée par les pluies et défoncée par de nombreuses ornières sombres, roulait une lourde voiture, couverte de boue, la capote à moitié relevée, attelée à trois chevaux très ordinaires dont on avait accroché la queue pour qu'elle ne se souillât pas dans l'eau du chemin...."
On s'y croirait !