Une transgression. Un jour de novembre, les vaisseaux, artères, veines et autres capillaires de
Sylvie Meyer, 53 ans, ont convergé pour former une vague monstrueuse, un tsunami vengeur, une lame de fond si puissante qu'elle ne l'arrêterait pas.
Rien que de très ordinaire chez cette mère de deux fils, cadre dans une entreprise de caoutchouc. le quotidien, la succession ininterrompue de tâches, devoirs, injonctions. Si peu de respirations. Et, derrière la façade policée, les fissures qui s‘agrègent : le mari enfui, le patron geignard se rêvant loup capitaliste, la longue litanie de jours identiques, éreintants, et la perspective de lendemains identiques.
Quand son patron lui demande, nécessité fait loi, d'établir des listes, des niches, des viviers séparant bons et mauvais travailleurs en vue d'un plan de licenciement, Sylvie s'y atèle avec professionnalisme. Elle va même y trouver la saveur grisante du pouvoir. Elle a franchit le pas de trop, celui qui fracasse l'image en elle de celle qu'elle voulait être. Sa flamme intérieure, cette femme à l'intérieur, si ténue et fragile, ce rêve d'autre chose. Et le destin bascule.
Pendant une nuit, elle séquestre son patron. Ivresse d'une force nouvelle, rédemption au forceps par l'acte transgressif. Enfin la vie qui la pénètre avec la violence d'une tempête.
88 pages de monologue. Au départ écrit pour le théâtre, le texte de
Nina Bouraoui fouaille, dénude, dissèque les rouages intimes qui mènent à ce paroxysme. C'est un texte fort, brut, sans artifice, impitoyable. Certaines critiques y ont vu et encensé un texte féministe. C'est aussi juste. Mais s'il est vrai que le « secret » dévoilé dans les dernières pages corrobore cette thèse, il m'a paru comme une facilité narrative justifiant une transgression qui ne le nécessitait pas. Cela n'était pas nécessaire. La vie rétrécie de Sylvie, la mienne, celle de mes voisins, menée au rythme injonctif d'une société débilitante qui occulte le temps perdu, la saveur des paresses, la jouissance de l'inutile suffisait pleinement à ce « pétage de plombs ».
Otages, le titre est écrit avec un S. Et ce S vaut pour tous, hommes ou femmes, coincés sur les rails qu'on nous trace. J'ai pensé furieusement au film The Wall, et ce morceau musical a été la bande son lancinante de ma lecture.