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Citations sur Le vide et le plein : Carnets du Japon 1964-1970 (58)

Trop de gens attendent tout du voyage sans s’être jamais souciés de ce que le voyage attend d’eux. Ils souhaitent que le dépaysement les guérisse d’insuffisances qui ne sont pas nationales, mais humaines, et l’ivresse des premières semaines où, tout étant nouveau, vous avez l’impression de l’être vous-même, leur donne l’impression passagère qu’ils ont été exaucés. Puis quand le moi dont ils voulaient discrètement se défaire dans la gare de départ ou dans le premier port les retrouve au détour d’un paysage étranger, ce moi morose et solitaire auquel on pensait avoir réglé son compte, ils en rendent responsable le pays où ils ont choisi de vivre.
Le voyage ne vous apprendra rien si vous ne lui laissez pas aussi le droit de vous détruire. C’est une règle vieille comme le monde. Un voyage est comme un naufrage, et ceux dont le bateau n’a pas coulé ne sauront jamais rien de la mer. Le reste, c’est du patinage ou du tourisme.
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J’aime la vie sauvage, les hérons, les pommiers en fleurs, mais lorsque j’aurai contemplé toute ma vie, même dans les circonstances les plus favorables, moi avec ma caboche d’Occidental, j’en saurai si peu de plus. C’est que vous en voulez trop, répondront les Japonais, restez donc à votre place et apprenez à regarder par la fenêtre. Mais l’Occidental ne veut pas de place, il veut des trajets, et des cordes sur lesquelles tirer.
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Nous nous flattons de vivre à l'époque de Klee ou de Picasso, mais pour ceux qui dans mille ans nous verront avec un peu de recul, ce sera l'époque de Walt Disney.
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Trop de gens attendent trop du voyage sans s'être jamais souciés de ce que le voyage attend d'eux. Ils souhaitent que le dépaysement les guérisse d'insuffisances qui ne sont pas nationales, mais humaines, et l'ivresse des premières semaines où, tout étant nouveau, vous avez l'impression de l'être vous-même, leur donne l'impression passagère qu'ils ont été exaucés. Puis quand le moi dont ils voulaient discrètement se défaire dans la gare du départ ou dans le premier port les retrouve au détour d'un paysage étranger, ce moi morose et solitaire auquel on pensait avoir réglé son compte, ils en rendent responsable le pays où ils ont choisi de vivre.
Le voyage ne vous apprendra rien si vous ne lui laissez pas aussi le droit de vous détruire. C'est une règle vieille comme le monde. Un voyage est comme un naufrage, et ceux dont le bateau n'a jamais coulé ne sauront jamais rien de la mer. Le reste, c'est du patinage ou du tourisme.
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[...] les proverbes sont parfaits pour ceux qui les inventent. Ils sont encore acceptables dans ces milieux campagnards où, le soir venu, on n'a plus assez d'invention ni de souffle pour se battre encore avec des mots nouveaux. Mais une fois incorporés au bavardage populaire, les proverbes deviennent des blancs de pensée, des placebos, des crottes mentales. On met dans une forme éculée ce que chacun avait déjà pensé, et sans grand risque puisque le « bon sens populaire » est là pour vous couvrir. Cela vaut pour les proverbes de la culture à laquelle on appartient. Pour les Japonais se lançant des proverbes japonais par - dessus leur bière. Mais pour moi qui suis étranger, les meilleurs des proverbes japonais me font partager par éclairs une mentalité qui n'est pas la mienne. La brièveté de la sentence, son tour finaud et sentencieux. Ce sont des flashes et le temps de ce flash, je deviens japonais.
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L’agrément qu’il y a à dormir sur le tatami, c’est d’avoir ainsi le dos collé au sol, de faire corps avec la terre et – quand le calme et le silence de la nuit le permettent – de sentir et de partager la vaste rotation dans laquelle elle vous entraîne. Les couvertures tirées jusqu’au menton, les mains à plat le long du corps on fend l’espace comme un boulet chauffé au rouge. On pense aux autres corps célestes, aux orbites qui s’infléchissent et qui divergent, aux attractions, aux répulsions, aux lentes figures qui se tracent à des vitesses inconcevables. Dans cette salle de bal obscure qu’est devenue la nuit, la natte, la maison, le quartier et les douze millions de dormeurs qui l’entourent pivotent avec un ensemble admirable pendant que je me pose la question de ma place à moi là-dedans, qui reste à débattre. Le sommeil vient avant la réponse.

« Mais pourquoi diable écrire cela dans un livre de voyage ? Pourquoi voyagerait-on si ce n’est pour être amené à précisément ce genre de question-là ? »
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Dès l'instant où l'on n'est pas un matérialiste avéré c'est faire preuve d'indigence mentale et d'ineptie que de ne pas croire à la puissance des incantations et mantras. N'importe lequel d'entre nous a vu sa propre vie modifiée par des paroles qui n'étaient que mots d'hommes adressés à des hommes. Qu'il y ait de mauvaises recettes, de fausses formules, des "sésames" en toc et des bataillons de faux mages, d'escrocs, de simili-gourous ou de simples farceurs ne change rien à l'affaire. Les Indiens d'Amazonie achètent à Manaus de vieilles ampoules usées qu'ils suspendent par des ficelles pour décorer leurs paillotes. C'est joli; mais pour l'éclairage ! Évidemment, quand le courant n'y est pas ! Et cela ne prouve rien contre l'électricité.
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Selon l'une des traditions, la cérémonie du thé serait née dans l'esprit d'un gentilhomme de Kyoto en regardant chaque jour un mendiant, installé sous un pont de la rivière Kamo, préparer son thé dans un pot de céramique grossière auquel l'âge et la fumée donnaient de la distinction, avec les gestes mesurés d'une personne à son affaire, et le boire ensuite avec un plaisir si manifeste, que le spectateur réalisa en un éclair tout l'agrément d'un acte si simple et — pour vous éviter des périphrases inutiles — le cadeau qu'est la vie. Authentique ou non j'aime cet apologue qui prouve une fois de plus que les véritables manières s'apprennent auprès de gens parfaitement frugaux. Le gentilhomme se mit donc en tête d'inviter ses meilleurs amis autour d'un bol de thé pour recréer ce climat de bonheur rustique, de concentration possible, de connivence avec les objets. Il choisit avec soin les ustensiles indispensables, un pavillon intime et tranquille et des convives s'accordant assez bien pour que le silence soit aussi aisé à partager que la conversation. Les zennistes, qui avaient depuis longtemps fait du thé un auxiliaire de leurs veilles et avaient élevé ce breuvage à la dignité d'ingrédient spirituel, ne pouvaient manquer d'influencer cette nouvelle mode, comme ils avaient influencé toutes les formes d'activité intellectuelle ou artistique depuis l'époque Ashikaga, et ajoutèrent à cette réunion d'amis esthétisants une touche d'étiquette et de rituel — mais enfin juste ce qu'il fallait pour convenir aux Japonais qui ne pourraient respirer sans un peu de rituel (le rituel étant à leur culture ce que le shoyu est à leur cuisine).

Mais tout cela était bien moins pédant qu'il n'y pourrait paraître aujourd'hui, car ces attitudes mentales — celles du zen — étaient dans l'air qu'on respirait, étaient naturellement vécues par beaucoup, ne faisaient pas encore l'objet d'une montagne d'exégèses, d'analyses et de codifications.
Comme on peut s'y attendre, il y eut bientôt des maîtres. Mais à en juger par les ravissants petits ermitages qu'ils s'étaient bâtis, ces sensei devaient encore être des gens pleins de suc et accessibles à une sorte d'humour. On bavardait pendant le rite. Si un objet venait à manquer, n'importe quel autre objet devait faire l'affaire, pourvu qu'il ne soit pas trop voyant. En outre, ils ne jouaient pas aux mystérieux et reconnaissaient simplement que la simplicité n'est pas un exercice facile. Il y avait à l'origine de tout cela une idée juste et magnifique qui pendant un temps s'incarna avec grâce. Naturellement, ce point d'équilibre et de convergence est un paysage mental et ce qu'il faut bien appeler une cérémonie ou un divertissement n'est qu'un moment historique privilégié et transitoire. Ensuite, on a les miettes, l'acte et l'idée, mais elles ne se rapportent plus exactement et dans l'interstice, les exégètes et les pédants et les raseurs s'installent et glosent et pontifient, ce qui ne manque pas de se produire rapidement et la cérémonie du thé, après avoir été un « repos du guerrier », devint un exercice de simplicité, d'ailleurs fort coûteux et aride, pour aristocrates désoeuvrés, puis une performance fastidieuse vidée du contenu. Une fois que l'académisme s'en mêle, le tour de main le plus simple devient un petit capital qu'il s'agit de ne pas gaspiller et surtout de faire breveter avant qu'un concurrent ne vous le carotte. pour saisir la boîte à thé à deux mains, le regard à la hauteur de l'horizon ; Machin-sensei est incomparable ; pour battre la poudre en mousse d'un geste vif du poignet, c'est de loin qu'on vient pour apprendre son art. Il existe aujourd'hui des académies, et des écoles rivales, et des brigues sans fin pour la succession de tel ou tel cacique. Et l'on a ses petits secrets. Tout cela s'exporte et se commercialise, comme le Baume tonique des Brahmanes ou comme l'Eau véritable du Jourdain. La fraîcheur s'est perdue en route, et quand la culture n'est plus fraîche elle empoisonne aussi sûrement qu'une moule avariée. Pour la retrouver, peut-être faudrait-il que les spécialistes, caciques et éminences des deux écoles rivales se réconcilient pour retourner collégialement sur le pont de la Kamo et regardent un des clochards qui ont élu domicile sous sa grande arche se faire cuire un oeuf avec quelques gestes simples et le gober ensuite avec un plaisir manifeste.
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À Kyoto, la couleur la mieux portée, et de loin, c'est le gris. Soyez gris sur gris pour être vu. Faites-vous petit et humble comme le myosotis, alors on vous remarquera – au bout de dix ans il est vrai. Ici, seuls ceux qui sont poètes (poètes ivrognes de préférence), ceux qui ont le mors aux dents, et ceux qui ont traversé le zen avec succès ne sont ni petits ni grands. Sont comme ils sont. Le zen s'en prend à l'ego, mais au Japon c'est un ego déjà si rabougri que quelques bonnes claques en viennent à bout et, cet ego humble et subalterne une fois porté en terre, adieu l'humilité et l'effacement superflus. Avec les Occidentaux, le processus est plus douloureux. Pour le bien ou pour le mal, leur ego est plus musclé. On tape dessus et il enfle. C'est naturel. On tape encore et pour des mois, sinon des années, les adeptes occidentaux promènent comme un pouce luxé cet ego mortifié, endolori, encombrant et qui ne veut pas rendre l'âme. On passe donc son temps à le replier, à le rentrer comme un mouchoir trop voyant qui reviendrait toujours bâiller à la poche d'un costume très strict, gris bien entendu.
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Une décision ne se prenait pas sans qu'on ne s'y soit mis à quinze ou seize. Un homme aura beau courir de-ci de-là comme un diable et s'agiter comme un électron, ce n'est toujours qu'à l'intérieur de cette lenteur plus grande, et il n'en peut pas venir à bout. Et qu'est-ce que la vitesse d'un seul dans ce pays où un vaut moins que l'unité.
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