On en apprend beaucoup en observant la manière dont les gens s’acquittent d’une tâche qui leur déplaît. C’est indispensable pour connaître leur caractère.
Maintenant que le dégel a commencé, les familles de notre village s'occupent de leurs morts. J'aide Renard à plier les bras et les jambes de sa femme , de son fils et de ses deux filles pour qu'ils soient dans la position des enfants dans le ventre de leur mère, puis nous les enroulons avec amour dans leurs fourrures de castor pour qu'ils aient bien chaud. Nous les portons ensuite jusqu'à l'ossuaire que la communauté a creusé. Nous enterrons ensemble tous nos êtres aimés afin qu'ils se tiennent compagnie, et nous mettons dans la fosse nos biens les plus précieux pour qu'ils ne manquent de rien dans l'autre monde.
Ce sera Lucifer qui vous chuchotera à l'oreille. Les feux de Lucifer sont de la glace. Ils ne vous réchaufferont ni le corps ni l'âme. Alors que les ténèbres, qu'un pâle soleil ne parvient pas à percer au milieu des arbres, nous engloutissent, je réalise que le Père supérieur n'a aucune idée de ce qu'est réellement le froid.
Autour de nous, les familles se livrent au même rituel. Le silence règne et on n’entend plus que quelques sanglots étouffés. Nous avons soigneusement emmitouflé nos morts, nous leur avons donné tout ce dont ils auront besoin, espérons-nous, et nous leur murmurons que nous les rejoindrons bientôt, aussi les prions-nous de guetter notre arrivée quand nous passerons à notre tour de l’autre côté.
La main de Petite Oie descend vers mon entrejambe. J'essaie de l'arrêter, mais je renonce avec un gémissement.
Il est plongé dans la mer de son désespoir , et je ne peux que le regarder se débattre comme un enfant au milieu des vagues qui menacent de l'emporter.
(...) les humains, sous tous leurs divers aspects, sont une bande indisciplinée, sujets à des accès de grande générosité, et plus encore, à des accès de grande cruauté.
- Notre monde n’est pas le même que le tien. Les animaux de la forêt ne se donnent à nous que s'ils jugent bon de le faire.
- Tu prétends donc que les animaux sont capables de raison ? Qu’ils ont une conscience ?
- Je dis que les humains sont les seuls dans ce monde à avoir besoin de tout ce qu’Il contient. Or, ce monde ne contient rien qui ait besoin de nous pour survivre.
Nous ne sommes pas les maîtres de la terre. Nous en sommes les serviteurs.
Le charbon dans mes entrailles consume les franges de mon profond chagrin. Ses flammes lèchent ma souffrance que je sens devenir aiguisée comme le bord d'une coquille de clam. Je la sens se changer en quelque chose qui a les couleurs du sang et du charbon de bois, et ces couleurs soulagent un tout petit peu ma douleur.
Les corbeaux ont volé au-dessus de la Grande Eau de leur ancien monde pour venir se percher, fatigués et apeurés, sur les branches du nôtre, et ils ont constaté que nous avions l'orenda. Nous croyions. Oh oui ! nous croyions. C'est pourquoi, au début, ils nous ont pris pour un peu plus que des animaux. Nous vivions dans un monde sensible qui les effrayait, nous chassions des bêtes qui n'existaient que dans leurs cauchemars et nous nous nourrissions du mystère qu'on avait appris aux corbeaux à craindre. Nous respirions ce qu'ils craignaient.