J'ai su que ce livre me marquerait à vie lorsque je me suis retrouvée en larmes sur ma liseuse après avoir passé les deux tiers du roman. En cause : une scène atroce, déchirante, totalement inattendue. Je vais tenter de trouver les mots pour parler de cet inoubliable roman mais je sens déjà qu'ils seront bien fades au regard de tout ce qu'il m'a fait ressentir.
Le roman débute par une scène insupportable d'humiliation publique en pleine église que je ne veux pas dévoiler pour ne pas spoiler une partie essentielle de l'intrigue. Sachez seulement qu'elle met en scène un curé et une jeune fille enceinte qu'il traite de « putain » devant toute l'assemblée. Bref, le ton est posé. Nous suivons ensuite le long parcours de Cyril Avery, le narrateur, de la fin de la guerre jusqu'aux années 2000. C'est toute la construction d'une vie à laquelle on assiste, entre émerveillements, indignation effarée et chagrins infinis.
Le vrai combat de Cyril, c'est l'acceptation de son moi profond. Cyril est homosexuel et éperdument amoureux de son ami, Julian. Mais Julian est trop épris des filles et multiplie les aventures improbables. Lentement, le secret infuse et saigne dans la chair de Cyril.
Incapable de s'exprimer et de révéler qui il est vraiment, Cyril préfère se cramponner à ses masques et décide de tirer un trait sur les garçons pour se jeter dans les bras des femmes. Mais il n'est pas heureux. Il se marie très vite mais il n'est pas heureux. Alors il finit par s'enfuir pour la Hollande où il commence à travailler à la
Maison Anne Frank comme conservateur de musée. Ici, il va tenter d'oublier Julian, d'effacer l'ancien Cyril et de devenir l'homme qu'il a toujours tenté d'être…
L'écriture de Boyne est crue mais diaboliquement sublime – avec, en passant, un petit clin d'oeil à Tristan Sadler. C'est un roman excentrique, complètement fou, composé de dialogues hilarants absolument délicieux, sans cesse truffés de quiproquos, de jeux de mots, qui offrent un vrai rythme au roman. Même les événements tragiques sont tournés en dérision et on éclate de rire tellement les répliques sont cocasses et culottées.
Sans cesse, en tournant les pages, je me disais, le rire aux lèvres : oh non il n'a pas osé… mais
John Boyne ose tout, et c'est fait avec tant d'adresse et de talent qu'on assiste à de nombreuses scènes mémorables. C'est aussi cet humour permanent qui rend les épisodes émouvants d'autant plus intenses et plus forts. Tout est plus coloré, tout brille plus fort.
Les personnages sont pour moi le vrai point fort du roman : grincheux, sauvages, émouvants, répugnants ; les portraits que dresse l'auteur sont intransigeants. Cyril Avery est un garçon incroyablement touchant : adopté – ce qui donc ne fera jamais de lui "un vrai Avery" – timide, mal dans sa peau et dans ses désirs, il va peu à peu se révéler et exhiber une personnalité fleurie, très intègre et très belle.
J'ai aussi particulièrement apprécié Julian Woodbead, l'ami impertinent de Cyril à qui il va également arriver tout un tas de péripéties. J'ai aimé sa fougue, son besoin de liberté et d'une vie vécue sans chaînes ni bordures, son effronterie qui frôle sans cesse l'obscénité. Je l'ai aimé impertinent, odieux, cruel et vulnérable.
Alors d'accord on rit beaucoup, mais le sujet de fond du roman nous laisse quand même un goût amer dans la bouche : à cette époque, les homosexuels sont des "monstres", des "anormaux" qu'il faut rééduquer… et c'est douloureux à lire, ça désole et ça indigne. Mais au final tous les thèmes du roman sont graves. "
Les fureurs invisibles du coeur" est je crois le roman le plus engagé que
John Boyne ait écrit. Il nous parle d'un Dublin intraitable, de l'IRA, du gouvernement véreux, de l'Église catholique qu'il écorche, avilit et détrône tout au long de ce roman-fleuve. Et puis, évidemment, nous allons finir par croiser le VIH…
Malgré quelques ficelles de scénario, ce roman m'a mise dans tous mes états. Quel travail on sent dans ces pages, quelle oeuvre… J'ai été amusée, horrifiée, émue, hantée, bouleversée. Il y a des moments de fragilité superbe, des déclarations magnifiques et des réflexions qui percutent comme des mantras. Je ne connaissais pas
John Boyne dans ce style-là, avec cette écriture-là, et ce fut une vraie révélation.
C'est un roman sur la mort mais surtout la vie qui continue, l'amour sous toutes ses formes, l'identité et la liberté, l'écriture, le temps qui passe, nos regrets et les manques que rien ne comble jamais, mais aussi nos petites et nos grandes victoires, nos amitiés dévouées, nos amours immortelles. Ce livre vous fera vivre des montagnes russes. Il est de ces bijoux que l'on a envie de conserver précieusement dans sa bibliothèque parce que c'est une vraie bible sur la vie, la tolérance et l'amour inconditionnel et absolu. Un immense merci à NetGalley et aux éditions
J.C. Lattès.
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