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Critique de karmax211


Si j'avais été à Daraya au temps où ses " passeurs de livres " vous offraient la possibilité de mieux penser le monde en empruntant quelques-uns de leurs ouvrages rayonnés dans leur bibliothèque souterraine, nul doute qu'un de mes choix se serait porté sur - Fahrenheit 451- de Ray Bradbury.

Comment mieux faire écho en effet à cette passion pour les livres et aux valeurs qu'ils contiennent qu'en re-lisant ce roman dystopique écrit en 1953, chef-d'oeuvre de la SF dont les personnages centraux sont les livres ?

Un merci donc à Delphine Minoui et à " ses passeurs " qui m'ont donné envie de me replonger dans cet univers " chaud bouillant "!

Parmi les classiques de la SF, les géants garde-fous de l'anticipation littéraire ( philosophique, politique, poétique...), les absolument incontournables, il y a naturellement - 1984 - de George Orwell, - le meilleur des mondes - d'Aldous Huxley -, - Un bonheur insoutenable - d'Ira Levin, - Kallocaïne - de Karin Boye – et naturellement - Fahrenheit 451 - de Ray Bradbury.

Tous ont en commun de proposer des univers coercitifs dans lesquels l'homme ne serait heureux qu'en déléguant ce qui le caractérise en tant qu'homme à un système totalitaire ayant pour vocation de lui imposer un bonheur " allant-de-soi "... à condition de ne pas aller contre lui en dérogeant à ses règles déshumanisantes de quelque manière que ce soit.

Penser, réfléchir, communiquer, questionner, se réunir, se déplacer, aimer, rêver, créer, écrire et lire ne sont admis que dans l'espace étroit consenti par ces totalitarismes dont les armes sont l'histoire revisitée, la réalité soumise au narratif qui les sert, l'illusion, la propagande, le mensonge, la délation et la guerre.

Leurs sociétés sont ordonnées, structurées, hiérarchisées à partir d'une verticalité du pouvoir intangible, inquestionnable, indiscutable, infrangible.
Votre liberté s'arrête là où elle n'a jamais commencé.
Le livre, qui synthétise ce que je viens d'énoncer, a été, est et sera toujours l'ennemi de ces régimes.

Le roman de Bradbury met en scène une caserne de pompiers. Pas les soldats du feu dont nous louons le courage à combattre des incendies et à lutter contre des sinistres.
Ces pompiers-là sont au contraire des pyromanes armés de lances qui crachent de l'essence.
Ils sont armés d'igniteurs prêts à enflammer le carburant contenu dans le réservoir de leur " salamandre ".
Quelle est leur mission ? Brûler des livres et l'habitat qui les héberge ( les livres brûlent à la température de 451 degrés Fahrenheit et 451 est le matricule de reconnaissance de ce corps des light up ) livres dont la liste de plus d'un million d'entre eux est affichée dans leur caserne.
Car les livres dans cette société non déterminée dans le futur sont jugés par " le pouvoir " comme dangereux ; une entrave, un péril au bonheur de ses citoyens.
Lire c'est accepter l'échange qui change, la contradiction qui dérange, les émotions qui bousculent.
Or le bonheur dans le monde de Montag consiste à ne pas se poser de questions, à ne pas réfléchir, à vivre dans un petit pavillon payé à tempéraments, ceint par deux, trois ou quatre murs-écrans achetés à crédit, sur lesquels sont projetés des émissions-jeux animées par des marchands de bonheur genre " Hanouna " qu'on appelle comme dans le roman d'Ira Levin - Un bonheur insoutenable - " la famille "... on y projette, effet subliminal, diraient les psys, des images, des couleurs censées stimuler le complexe hypothalamo-hypophysaire et sécréter des endorphines.
On mange pour se sustenter, on boit pour s'hydrater, on fait l'amour pour se reproduire.
Les sentiments sont réduits à leur état le plus insignifiant.
On échange à partir du plus banal.
On travaille mécaniquement.
On consomme beaucoup de psychotropes, d'antidépresseurs, d'anxiolytiques.
Pour dormir on a recours à la sédation.
Les suicides ne se comptent plus... car ils n'affectent que le suicidé.. et encore...
Guy Montag est pompier de grand-père et de père en fils.
Il a trente ans, est marié à Mildred, une " zombie " de son âge, chargée du matin au soir de pilulles du bonheur, des coquillages dans les oreilles pour écouter le bruit de l'eau qui l'apaise ou la zombifie un peu plus.
Un soir qu'il rentre du travail, il croise Clarisse McClellan, une jeune fille d'à peine dix-sept ans qui va bouleverser sa vie.
Car il est étonnant de voir une jeune fille qui se promène à pied, regarde la lune et les étoiles, respire le parfum des fleurs dans cette société où tous les gamins entre douze et seize ans passent leurs nuits au volant de jet cars à rouler à plus de 150 km/heure pour terminer souvent à feu et à sang...
L'oncle de Clarisse a été verbalisé et a passé deux jours en prison parce qu'il ne roulait qu'à 70 km/heure.
Tout doit aller vite... il ne faut pas avoir le temps de regarder, d'admirer de penser.
La vitesse obligatoire et l'interdiction de marcher à pied y contribuent...
La vie de Guy Montag va donc basculer lorsque se prenant de sympathie pour Clarisse et s'habituant à faire quelques pas avec elle le soir et surtout à parler, à échanger, à communiquer d'humain à humain, Clarisse va ébranler ses certitudes. D'abord les pompiers naguère ne mettaient pas le feu mais au contraire l'éteignaient. Montag a du mal à la croire car dans le monde où ils vivent tout est ignifugé. Mais que Clarisse en vienne à lui poser cette question : " Est-ce que vous êtes heureux ?", et là...
À cette question va s'ajouter l'incendie ou l'autodafé de trop.
Au cours de cette intervention, la propriétaire des livres va refuser de se laisser emmener par les pompiers, préférer ses livres à une vie sans eux et craquer elle-même l'allumette.
Subrepticement, Montag va glisser un livre sous son blouson...

Les personnages de ce roman sont Montag, Mildred, Clarisse, le capitaine Beatty son chef, ses coéquipiers Stoneman et Black, le professeur Faber et les "hommes-livres"... On ne se perd donc pas dans cette anticipation dystopique où le cercle des protagonistes est relativement restreint.
Les thèmes, outre le totalitarisme et quelques aspects que j'ai évoqués, sont une société de " l'immédiat dopée à l'effet médias, une allégorie de " La caverne " de Platon, la guerre mentionnée plus avant et le livre comme " péché originel ".

Écrit en 1953 il y a quelques trouvailles ( le Limier en fait partie ) sans qu'il soit de ce point de vue le plus inventif du genre.
En dehors de la thématique, ce qui retient l'attention et parfois vous la fait " perdre ", c'est le verbe très poétique de Bradbury.
Un classique à lire ou à relire.
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