- Pensez-vous sérieusement, que Traquair ait pu être assassiné ?
Oscar haussa les épaules et leva son verre à son tour. Il le porta à ses narines pour en humer le bouquet.
- Une senteur de rose et de fruit de la passion... Un gewuztraminer nerveux est le vin idéal pour le petit déjeuner, vous ne trouvez pas ?
- J'ai été négligent, mais pensez à ce que je suis, Robert, et essayez de me comprendre. Je suis un conteur, un auteur dramatique. Il me faut garder mes lecteurs en haleine jusqu'à la dernière page, tenir mon public sur le bord de son siège jusqu'au baisser de rideau. J'ai besoin d'un dénouement. Ne me privez pas de mon coup de théâtre.
- Il s'agit d'une histoire vraie, Arthur. J'imagine que vous pourriez la qualifier d'énigme criminelle. Il est impossible de la publier, du moins de mon vivant. De nombreux passages sont diffamatoires, d'autres licencieux, et le texte est pour l'instant incomplet. Le manuscrit est inachevé : il manque le dernier chapitre. J'aimerais que vous le lisiez, Arthur. N'omettez aucun mot, même si certains vous choquent. Si vous le souhaitez, vous pouvez le montrer à votre ami Sherlock Holmes. Il est d'une autre trempe. Puis, une fois que vous l'aurez lu et que vous y aurez longuement réfléchi, j'aimerais que vous me disiez ce que devra révéler selon vous le dernier chapitre.
Oscar enviait à Arthur son personnage de Sherlock Holmes. Arthur enviait à Oscar son aisance avec les mots. [...] Arthur avait déclaré à Oscar que si jamais il devait écrire une nouvelle aventure de Sherlock Holmes, il le prendrait comme modèle pour le personnage du frère aîné de son héros.
(Note : Nous parlons de Oscar Wilde et de Arthur Conan Doyle).
- [...] En France, dans la très respectable France, le théâtre est à peine toléré. Aux yeux de l'Église, un théâtre, c'est l'antichambre de l'enfer ! Même le grand Molière est mort sans recevoir les derniers sacrements. On l'a enterré au milieu de la nuit, dans un lugubre quartier du cimetière réservé aux enfants morts sans baptême. Que pouvait-on espérer pour Tarquair, un simple habilleur, nègre de surcroit ?
- Molière n'est-il pas enterré au Père-Lachaise ?
- Oh, il l'est à présent, oui. Sous un splendide monument. Aujourd'hui, les pèlerins se bousculent pour embrasser sa tombe...
Mon ami [Oscar Wilde] eut un petit gloussement et but une gorgée de vin.
- L'hypocrisie est sans logique, conclut-il.
(Note : Oscar Wilde expliquant à Robert Sherard que le théâtre est mal vu en France, contrairement à l'Angleterre).
Plus on s'enfonce dans l'océan des vilénies, plus il est facile de s'y noyer.
“On ne trouve nulle part autant de vrais sentiments et de mauvais goût que dans un cimetière.”
"En te levant chaque matin, remercie Dieu d'avoir ce jour-là quelque chose de nécessaire à faire, que cela te plaise ou non."
-James Russell Lowell, fit négligemment Oscar.
- Ainsi, vous lisez dans les esprits, Mr. Wilde, s'étonna le docteur en souriant.
- Non. Je lis des livres.
Il n'y a aucun arguement en faveur de la faim, Robert. La souffrance n'a aucune vertu. La vie devrait être un banquet ouvert à tous. Personne ne devrait rechercher autre chose dans l'existence que le plaisir.
On pourrait commettre n'importe quel crime dans les coulisses d'un théâtre. Pendant la représentation, tous les yeux sont tournés vers la scène.