Uncrowned Emperor

L'EMPEREUR SANS COURONNE
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Deux fois, j'ai eu le privilège de m'entretenir avec l'objet de cette biographie. Non pas sur des questions géopolitiques, mais sur des aspects très concrets d'infrastructures de transports routiers et fluviaux. À cette époque Otto de Habsbourg était membre du Parlement européen et moi secrétaire de sa commission des transports. Lorsqu'il est entré dans mon bureau à Strasbourg, c'était comme un souffle d'histoire qui envahit la pièce : 6 siècles et demi de règne Habsbourg, l'immense Empire austro-hongrois, la première guerre mondiale ...et inévitablement des noms surgirent dans mon esprit : Stefan Zweig, Joseph Roth, Robert Musil, Gustav Klimt... Sans être royaliste, il faut que j'avoue avoir été impressionné par sa grande simplicité et affabilité. Pendant toutes ces années, chaque fois que nous nous croisions dans les corridors, jamais il n'a manqué de faire un signe de la tête et parfois même de se renseigner comment j'allais. Il serait vaniteux de ma part de ne pas apprécier une telle attitude.

L'homme qui aurait dû devenir empereur d'Autriche-Hongrie, est né près de Vienne, en 1912, et mort près de Munich 98 ans après. En effet, comme fils aîné du dernier souverain de la double monarchie austro-hongroise, Charles (1887-1922), et de Zita de Bourbon-Parme (1892-1989), il a été pendant 4 ans le dauphin de la Monarchie du Danube. La première tuerie mondiale a eu comme conséquence le départ en exil de la famille, d'abord à Madère, ensuite au pays basque et lorsque Otto avait 18 ans, à Steenokkerzeel près de Louvain, où il a fait ses études. Entretemps, son père était mort d'une pneumonie et sa mère avait seule la charge de ses 8 enfants, disposant de très peu de moyens.

L'avènement d'Hitler en Allemagne causa une terrible menace pour la survie de la petite Autriche et, en 1938, le jeune Otto, dans une lettre au chancelier Schuschnigg, offrait ses services comme futur chancelier, sans ambition de récupérer une couronne pour autant, mais juste pour dire "Nein !" aux prétentions hitlériennes sur son pays. Il ignorait évidemment que le retour d'un Habsbourg à Vienne, aurait causé immédiatement l'invasion, une opération militaire dont le nom de code à Berlin était d'ailleurs : "Opération Otto" !

Le 12 mars 1938, les troupes allemandes envahirent, occupèrent et annexèrent l'Autriche au Reich. La situation de l'étudiant de 25 ans en Belgique devint périlleuse, d'autant plus qu'il figurait maintenant en top de la liste d'Adolf des ennemis à abattre. Une visite aux États-Unis, lui assura la sympathie de Franklin Roosevelt. Une amitié qui lui sauva la vie, lorsqu'en 1940 la Belgique, puis la France furent occupées et qu'il se trouvait recherché par la Gestapo. Malgré ses continuels efforts, Otto ne réussit pas à former un bataillon autrichien de volontaires outre-Atlantique, pour cela ses compatriotes étaient trop divisés et les socialistes trop puissants.

À la fin de la guerre, l'archiduc rentra en Europe, mais pas en Autriche, où parmi les 4 puissances occupantes Staline était tout-puissant. Ainsi, il était le détenteur d'un passeport autrichien particulier qui lui permit de voyager n'importe où, sauf en Autriche. Pour Otto, 34 ans entretemps, 2 réalités s'imposèrent : gagner sa croûte et fonder une famille. Comme métier il choisit le journalisme. Lors d'une visite à un camp de réfugiés près de Munich, il y rencontra une infirmière, Regina de Saxe-Meiningen, et c'était le coup de foudre réciproque. En 1951 à Nancy, le couple se maria. Pour la succession un nouveau problème surgi : Regina lui donna 5 filles, avant de mettre, enfin en 1961, un fils, Charles, au monde, suivi 3 ans après d'un 2ème fils, Georg. La nouvelle famille électa domicile à Pöcking en Haute Bavière. Un couple uni et Regina avait un effet modérateur sur son bourreau de travail de mari.

Déçu des querelles entre nationalités, Otto était convaincu d'un nouvel idéal : l'Europe, qui faisait passer au deuxième plan l'Autriche. D'abord, il s'efforça dans le Mouvement Paneuropéen, où il succéda, en 1973, à son fondateur, le comte Coudenhove-Kalergi, pour être élu au Parlement européen en 1979 et y rester pendant 20 ans. Il était aussi actif dans le forum des 3 religions, "The Three Faiths Forum" (3FF), en vue de créer, surtout parmi les jeunes, une plus grande tolérance entre les 3 religions monothéistes la chrétienté, le judaïsme et l'islam. Un an après le décès de sa Regina, Otto s'est éteint dans son sommeil en juillet 2011. Il fut enterré dans la crypte familiale à Vienne.

Otto de Habsbourg a écrit ses "Mémoires d'Europe" et Stephan Baier a publié une très bonne biographie, intitulée "Otto de Habsbourg : de l'Empire à l'Europe". Personnellement, je préfère pourtant l'ouvrage de Gordon Brook-Shepherd "Uncrowned Emperor" (Empereur sans couronne) pour 3 raisons : le professeur d'histoire britannique (1919-2004) a été un grand spécialiste de l'Europe centrale, l'auteur d'une biographie de la Princesse Zita de Habsbourg, du dernier empereur Charles et du chancelier Engelbert Dollfuss, assassiné en 1934 à Vienne. Tous ses ouvrages m'ont plu, et pour leur sérieux et leur style précis mais agréable. En plus l'auteur et son héros ont été amis pendant plus de 40 ans et l'auteur a ainsi pu bénéficier de documents et commentaires inédits.