En propulsant sa réflexion socio-technique dans l'APRÈS de l'usage de la géo-ingénierie, la géographe écologiste américaine nous offre une précieuse approche des impératifs à long terme de la décision politique pourtant urgente.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/04/18/note-de-lecture-after-geoengineering-holly-jean-buck/
Chargée d'enseignement en environnement et soutenabilité à l'Université de Buffalo (NY),
Holly Jean Buck est diplômée en écologie et en sociologie du développement, et spécialise sa recherche, depuis maintenant plusieurs années, autour de la mesure et de la compréhension des effets de l'ingénierie climatique, avec une bonne cinquantaine d'articles parus dans des revues de premier rang dans le domaine, et cet ouvrage, « After Geoengineering », publié en 2019 chez Verso Books, sous-titré sans ambigüité réelle « Climate Tragedy, Repair, and Restoration ».
Elle y trace avec beaucoup d'acuité et de précision (sans prétendre aux connaissances techniques détaillées lorsqu'elle n'en dispose pas) les contours socio-techniques et politiques qui entourent l'usage, déjà réel ou encore fantasmé, de la géo-ingénierie pour faire face au changement climatique, changement désormais plus qu'amorcé sous l'effet des actions humaines – et plus particulièrement des actions capitalistes au sens large, comme le rappelaient récemment parmi bien d'autres
Hervé Kempf ou
Andreas Malm.
Il est frappant de constater à quel point les préoccupations travaillées concrètement par
Holly Jean Buck, que ce soit en matière d'ingénierie solaire ou de captation du carbone, d'influence des activités océaniques ou d'interventions météorologiques, voire de pratiques en matière d'énergie et de matériaux, renvoient un primordial écho socio-technique documenté aux constructions imaginées dans le domaine par la science-fiction contemporaine (dont les meilleures praticiennes et praticiens s'inspirent souvent des mêmes sources scientifiques que la sociologue de l'environnement, par ailleurs), comme celles de
Kim Stanley Robinson («
le ministère du futur » et sa chaleur humide ou son ingénierie glaciaire), de
Neal Stephenson (« Choc terminal » et ses milliardaires apprentis sorciers), voire de Nathanael Rich (« Paris sur l'avenir » et sa science météorologique réorientée vers le profit).
Comme le soulignait avec un magnifique brio l'exposition « Everybody Talks About the Weather » à Venise à l'automne 2023, en parallèle à la Biennale d'Architecture, exposition qui associait étroitement, sur une cinquantaine de thèmes climatiques, un rapport scientifique, une oeuvre d'art plastique et une oeuvre de fiction, la science, l'art et l'aiguillon de l'imaginaire peuvent atteindre aujourd'hui un degré de convergence qui redouble et renforce leurs responsabilités respectives en matière de contribution au sauvetage humain, à un moment où l'économique, globalement, ricane dans son coin (sans manifester toujours le cynisme des capitalistes fossiles, il est vrai) et où le politique tergiverse et hésite, encore et encore, se montrant ici infiniment plus pusillanime que dans dans bien d'autres domaines, comme on peut le constater chaque jour.
En nous forçant à envisager la géo-ingénierie du point de vue même de son « après »,
Holly Jean Buck dégage pour nous une géographie décisionnelle ô combien salutaire. Comme «
Communisme de luxe : un monde d'abondance grâce aux nouvelles technologies » de l'activiste
Aaron Bastani, qui procède pourtant d'une tout autre approche initiale, « After Geoengineering » montre avec rigueur qu'il y a bien derrière ces technologies, leur hype, leur coût gargantuesque ou leurs profits potentiels, une véritable stratégie politique de leur usage éventuel. S'il y a bien une question du « comment ? », il y a sans doute bien davantage une question du « qui ? » et une question, peut-être encore plus vitale, du « avec quels effets pour qui ? » et donc « sous quelle coordination à moyen et à long terme ? » (ce qui constitue, rappelons-le, l'un des questionnements fondamentaux illustrés par
Kim Stanley Robinson et par
Neal Stephenson dans leurs fictions citées ci-dessus). C'est peut-être aussi ainsi que l'action politique authentique et urgente finira par trouver le stock de carburant métaphorique suffisant pour se propulser – enfin ? – au premier rang des priorités.
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