Des hommes, des noirs et des hispanos, combinaisons oranges, le regard vague, le sourire narquois se retrouvent, là, enchaînés dans la poussière. Et parmi eux, Ron, le beau Ron, le jeune Ron, sa première incarcération à San Quentin. Assis sur les docks, la brume qui s'élève et masque encore le soleil, pour quelques minutes. Quelques secondes encore où je respire une dernière fois, cet air frais et pur s'élevant de la baie de San Francisco. L'endroit est si beau, si lumineux, si silencieux au milieu des vagues qui s'échouent contre la roche blanche, entre écume et calcaire. Si magnifique, et si cruel d'avoir créer une prison, la plus grande, la plus renommée après la mythique et cinématographique Alcatraz, juste en face, fermée quelques années avant avec son dernier évadé. Les autorités avaient le choix,
Folsom ou San Quentin. Me voilà donc sous le soleil de Californie et le ciel gris, comme ses murs.
Mais revenons à Ron, ce gamin. Pas sûr que sa belle gueule d'ange va lui servir à grand chose, mais par contre, son cul nul doute qu'il va intéresser du monde. Et pas qu'un peu. Tout le monde se voit déjà y fourrer sa bite dedans, noir ou blanc, s'il y a bien un domaine où le racisme s'efface temporairement, c'est bien dans la sodomie. Et ce n'est ni son parfum Orange Blossom Special ni ses gardiens, qui vont détourner du regard cette horde de bêtes, des animaux nettement plus sauvages qu'une horde de bisons dans un pré d'herbes à vodka, devant la fragilité d'une belle proie isolée.
La première sensation qui me prend est cette puanteur qui se mélange à la poussière. Elle te reste en travers de la gorge, elle t'enveloppe comme un air de
Johnny Cash, elle te sature en haine et en sueur. La haine de l'autre, la haine de la société, la haine du gardien, du noir ou de ce couloir qui t'amène vers ta minuscule chambre avec vue... sur la baie. Earl, à ses côtés, comme un ange gardien, un protecteur de tous ces détraqués. Earl qui lit
Dostoïevski et Céline, Hesse et Camus. du beau monde dans les livres, seule échappatoire qui se distille à travers les barreaux comme un rayon de lune, ou l'ampoule de la coursive jamais éteinte. Il y a du courage, il y a du déchaînement, mais il n'y a plus aucun espoir. Une fois pénétré l'antre de ces lieux, l'usine pénitentiaire ne fabrique plus que des bêtes sanguinaires assoiffées de vengeance par la poussière de la misère humaine.
Mais ce qui me frappe est surtout l'immersion dans cet univers, la plongée en apnée que l'auteur me propose, la véracité des faits, de l'ambiance. Je suis à San Quentin, je ne sais pas quand je vais ressortir, ni même si j'en ressortirai un jour. Innocent un jour, je deviens une bête le lendemain, lorsque l'avenir n'est représenté plus que par une lame de couteau. Il faut dire que
Edward Bunker connaît bien les lieux, incarcéré pour la première fois à San Quentin à l'âge de 17 ans, faisant de lui, le plus jeune détenu. Il a tout de même réussi en s'en échapper par deux fois, survivant à cet enfer au sein de la fraternité aryenne. du vécu dans ce bouquin.