La pluie de néon

(…) il était possible que ses blessures fussent plus grandes,
avait dit le médecin,
comme les parties mortes et écrasées d'un fruit meurtri.

En ce cas, son cerveau pouvait se détériorer
au point que ses pensées ne seraient rien de plus que des dessins sur le sable,
allant et venant sous les ressacs d'une mer sans lumière.

Il avait le visage vide.
Son regard était masqué par ce voile boueux et stupide
de l'individu convaincu que l'expression honnête de son ignorance
suffisait comme explication acceptable
pour ceux qui étaient en position d'émettre des jugements.

- Les cadeaux t'arrivent parfois sous d'étranges emballages.
Ne remets pas le destin en question.

C'étaient des enfants d'ouvriers,
de petits durs qui s'engageaient physiquement dans la partie,
avec énergie et allant,
sans retenue ni souci des conséquences.

Le lanceur envoyait des balles mouillées de salive
et des boulets de canon pleine tête,
les coureurs cassaient toute tentative de virer deux joueurs
des coudes et des genoux à chaque base,
et ils se laissaient glisser, tête en avant,
emportés par l'élan, s'éraflant la figure au passage ;
le receveur volait la balle à main nue
sous le nez du batteur en plein swing ;
et le joueur de troisième base se plaçait tellement près
qu'un retour en ligne droite risquait de lui arracher la tête des épaules.

Je songeai qu'il n'était pas surprenant
que les étrangers à notre pays soient impressionnés
par l'innocence et la naïveté de l'agressivité américaine.

(…) la justification de ses propres actes n'a de valeur que si on s'intéresse à tenir le décompte des points marqués.

J'avais entendu le klitch sous mon pied dans l'obscurité d'une piste de jungle ;
puis, comme si j'étais spectateur plus que participant,
je me vis couvert tout entier d'une lumière de cobalt,
le corps tissé de filaments d'électricité
tandis que mon âme venait illuminer les arbres alentour
comme une gigantesque chandelle.

Toute lumière s'éteignit dans mon esprit,
et il suffit de quelques instants de rien pour que je fusse repris
tout entier par mon monde d'ivrogne où se mêlaient bars ouverts la nuit,
chauffeurs de taxi me guidant jusqu'à ma porte aux lueurs de la fausse aurore,
crises de delirium tremens qui me laissaient couvert de sueur et remplissaient l'intérieur de ma péniche d'araignées et de Vietnamiens morts.

Après quatre années de sobriété,
je voulais une fois encore me remplir l'esprit d'araignées,
de limaces rampantes, de serpents
qui viendraient tous autant qu'ils étaient se nourrir des morceaux de ma vie
que je massacrais quotidiennement.

Hier n'est qu'un souvenir en train de pourrir.

Mais, ainsi que l'avait si bien dit Fitzpatrick,
j'avais rédigé mon propre scénario,
et le lendemain,
j'en continuai la rédaction ainsi commencée,
avec cependant des conséquences tellement désastreuses
que je ne laissais pas de m'interroger
afin de savoir si mon incube alcoolique et autodestructeur
n'était pas au mieux de sa forme.