Citations sur Le temps est assassin (287)
Clotilde mesurait seulement aujourd'hui toute la portée du geste de son père , offrir à sa femme la tenue dans laquelle elle allait mourir , sa parure pour l'au-delà , la plus séduisante qui soit pour le dernier regard amoureux. N'était-ce pas la plus belle preuve d'amour ? Choisir ensemble le costume de sa mort comme on choisit celui de son mariage.
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- Dis oui, Papé, dit oui. Dis oui, rien que pour le bonheur de tous ces gens qui plongeront comme moi. Natale veut juste faire partager ce trésor.
(...)
- Vois-tu, ma petite fille, il n'y a que trois attitudes possibles face à un trésor, que ce trésor soit une femme, un diamant, une terre, une formule magique : le convoiter, le posséder ou le protéger. tout comme il n'y a que trois sortes d'hommes, les jaloux, les égoïstes et les conservateurs. Personne ne partage un trésor, Clotilde, personne...
- La vendetta ? Mon Dieu, qui vous parle de ça ? (Soupir.) Qui parle encore de ça, à part vous, les journalistes ? Les meurtres dont vos colonnes font la publicité sont commis par des bandits, des voyous, des mafieux, pour quelques billets de banque, quelques grammes de drogue, quelques voitures volées. En quoi cela me concernerait ? En quoi cela concernerait un retraité isolé dans sa bergerie, qui ne sait même pas à quoi peuvent ressembler une barrette de cannabis, une prostituée yougoslave ou un carton de minitels tombé d'un conteneur sur le port d'Ajaccio ? La vendetta, mon Dieu, c'est bon pour les touristes qui lisent "Colomba". (Retour du sourire.) Tout est beaucoup plus simple. Ne touchez pas à ma terre. Ne touchez pas à ma famille. Et alors, je serai le berger le plus pacifique, le plus inoffensif du monde.
Y a des moments comme ça où les mots ne servent à rien, même au plus doué des écrivains.
La vie, pensa-t-elle, se résumait à cela : profiter de la beauté du monde. Son harmonie, sa poésie. La contempler avant que tout disparaisse. Au fond, on ne meurt pas, on devient aveugle. On comprend que c'est terminé lorsque toutes les merveilles autour de nous s'éteignent.
Le noir pour les vieilles Corses, c'est le costume de la soumission. Pour moi, c'est celui de la rébellion. D'ailleurs, je me demande bien quelle sorte de femme en noir mon père préfère ? Les deux, mon capitaine ? La soumission en public et la rébellion en privé. Une façon de posséder un trésor qu'on garde pour soi. Un oiseau qu'on met en cage.
Comme tous les hommes, je crois.
Vouloir une mère, une ménagère, une cuisinière... mais vous détester de l'être devenue.
Une vie, pensa-t-elle, se résumait à cela : profiter de la beauté du monde. Son harmonie. Sa poésie. La contempler avant que tout ne disparaisse. Au fond, on ne meurt pas, on devient aveugle. On comprend que c'est terminé lorsque toutes les merveilles autour de nous s'éteignent.
Elle ne pesait pas plus de quarante kilos. Elle se faufila la vitre brisée sans même sentir les éclats de verre lacérer ses bras, ses jambes, sa robe. Elle rampa par réflexe, laissant des marques rouges sur les pierres glissantes, quelques mètres à côté de la Fuego.
- (...) Mais je te parle d'un crime. A quoi sert un avocat dans ce cas ? Il y a une enquête, il y a des indices, des preuves, un dossier, on mesure de quel côté penche la vérité, et en fonction des faits, on punit ou non. A quoi sert un avocat sinon à faire pencher les preuves objectives du mauvais côté ? Pourquoi les coupables auraient-ils besoin d'avocats ?
- Et les innocents ?
Cassanu, cette fois, laissa s'envoler un rire gras.
- Les innocents ? Je connais la justice de ce pays, ma chérie. Un innocent est un coupable qui a un bon avocat.
Bergerie d'Arcanu, le 23 août 1989
- Clo? Clo?
Tu me estas dando mala vida
- Clo?
Lentement, Clotilde fit glisser le casque posé sur ses oreilles. Contrariée. La voix de Manu Chao et les cuivres de la Mano Negra grésillèrent dans le silence des pierres chaudes, à peine plus forts que les grillons derrière les murs de la bergerie.
- Ouais?
- On y va...
Clotilde soupira sans bouger du banc où elle était installée, un tronc fendu en deux qui lui râpait les fesses. Elle s'en fichait. Elle aimait bien cette position décontractée, limite provoc, les pierres qui lui tailladaient le dos sous sa robe de toile, l'écorce et les échardes qui lui grattaient les cuisses chaque fois que sa jambe battait le rythme de la fanfare de la Mano. Son cahier sur les genoux, son stylo entre les doigts.
Assise en boule. Ailleurs. Libre. Contraste total avec la belle-famille, raide, corse, corsetée. Elle augmenta le son.