Aimée tue les uns et les autres.
Jean-Patrick Manchette est -à titre posthume, certes- plutôt chanceux. Quand il n'est pas adapté par
Tardi, il l'est par Cabanes.
Tardi, tout le monde connait, il est l'un des ténors de la BD et une référence en matière d'adaptation.
Max Cabanes, lui, reste encore assez peu connu, en dépit de sa série "Dans les villages" qui vaut le détour, ne serait-ce que pour l'Anti-Jôle et la Crognotte rieuse qui parleront aux anciens lecteurs de
Fluide Glacial.
Par la suite, je ne trouve plus guère de traces de ses travaux dans ma bédéthèque, en dehors des 2 volumes de "
Colin-Maillard", très moyens.
Avec "
Fatale", Cabanes signe son retour par une remarquable adaptation, co-écrite avec
Doug Headline, le propre fils de Manchette. (Headline-Manchette, astuce !)
L'histoire est assez linéaire (on y reviendra).
Aimée est une jeune femme mystérieuse, se faisant appeler tantôt Mme Souabe, tantôt Mme Joubert.
Après avoir commis un meurtre, elle arrive à Bléville, une petite ville du bord de mer, mélange entre autres, de Dieppe et du Havre.
Là elle fréquente la bonne société, découvrant ses secrets les plus intimes qu'elle décide d'exploiter.
On pourra déplorer l'absence d'intrigue policière. Il est vrai que le roman "
Fatale" de Manchette, n'est pas paru à l'origine (en 1977), dans la Série Noire.
Pour autant, "
Fatale" n'est pas à négliger. Il s'agit d'une sorte de western chabrolien qui se déroulerait à la fin des années 60. On y retrouve à la fois le thème de l'inconnue dans la ville, qui va se retrouver seule contre tous, jusqu'au duel final et la description de cette vie provinciale faite de non-dits et de secrets enfouis. Aimée va chercher à exploiter ces failles, mais son projet va se trouver contrarié par un élément imprévu : le sentiment.
Si elle aussi, elle s'abandonne...
L'ensemble prend vie, sous le crayon de Cabanes qui alterne les climats en fonction des récitatifs tirés du roman qu'on retrouve dans certaines cases. Très minutieux ou à gros traits, explosant dans la rougeur ou se glaçant dans le bleu de la nuit et les ombres du port, le dessin est magnifique pour ce qui est peut être, la meilleure adaptation d'un Manchette*.
La dimension sociale de l'auteur apparaît tout au long de l'ouvrage, par son thème bien sûr qui gratte sous le vernis de la bienséance, mais également par des formules aussi définitives que celle qui accompagne la lecture des journaux locaux : "...les 2 feuilles locales. L'une défendait une idéologie capitaliste de gauche et l'autre une idéologie capitaliste de gauche".
On peut considérer que ce discours a vieilli, mais il n'en est pas pour autant devenu ridicule.
Cabanes et Manchette Père & Fils, signent là une BD qui compte. Si vous recherchez une intrigue alambiquée, passez votre chemin. Pour tous les autres : bienvenue !
Belle couverture épaisse, 130 pages de beau papier, l'ouvrage justifie chaque Euro de son prix.
*Une case me titille quand même. Page 107, la défenestration ne me paraît pas techniquement possible telle que montrée.