Patron de pêche, sur cette côte dangereuse où chaque
vague cache un récif, et où chaque récif cache un
péril, il sortait depuis des années, par tous les temps,
à moins que le vent, tout à fait contraire, ne le retînt
dans l'anse abritée de Réville, en soufflant assez fort
pour l'empêcher de mettre le cap au large.
Autrement, il trainait ses lignes et ses filets, suivant les exigences de la saison, le long de la côte, depuis Barfleur
jusqu'à Saint-Vaast, et même plus loin, par calme ou
par tempête.
Comment ces hommes résistent-ils?
C'est ce que l'on se demande, mouillés qu'ils sont constamment, jusqu'aux os, par la mer et par le ciel, par l'eau douce et par l'eau salée, ballottés sur les vagues déchirées par le vent, sans rien voir autour d'eux que le feu des phares, la plupart du temps encore cachés sous les embruns.
L'homme n'est, nulle part, plus grand que
là, seul, ou presque seul, à lutter, dans le gouffre,
contre la tempête qui s'acharne ...
Mais, impitoyablement, l'aïeule, soupçonneuse, lui faisait entendre qu'il n'y avait point place au logis, même dans la grange, ou l'on venait de rentrer les
grains mûrs, et que le mieux était de gagner Quettehou, Saint-Vaast même, avant la nuit noire, à moins de coucher à l'auberge de "Pied-de-Choux" à quelques centaines de mètres de là, où l'on avait des lits pour
les voyageurs.
Parbleu elle le savait bien qu'il y avait une auberge, et ce qu'elle savait encore mieux, c'est qu'elle n'avait point ce qu'il fallait pour y pénétrer, la tête haute, et payer de quoi s'étendre pour la nuit, ne fût-ce qu'une botte de paille ...
Le long de la route montueuse et accidentée qui s'étend, sur un espace de quatre lieues, entre Valognes et le bourg de Quettehou,une femme cheminait par une soirée d'été brûlante, tenant par la main, traînant plutôt un enfant d'une dizaine d'années, qui, les yeux gonflés par la fatigue et te besoin de sommeil, faisait tout le possible pour suivre une allure trop rapide, tout en mordant de temps en temps à même un gros morceau de pain bis ...