Je place cette lecture sous le signe de cette citation :« Modulation splendide de la douleur, le chant recoud ce que le cri déchire » (
Carole Martinez,
du domaine des murmures).
Je déplore l'absence d'indication concernant l'original sur la page de copyright. On sait néanmoins qu'il s'agit de traduction (très certainement du roumain) et que le sous-titre est « et autres poèmes ». On peut donc, en l'absence de précision de la part de l'éditeur ou du traducteur et préfacier
Jean-Pierre Vallotton, déduire qu'il s'agit d'une anthologie de poèmes de
Ion Caraion et non d'un recueil publié en tant que tel.
Je ne connais pas assez l'oeuvre poétique prolifique (elle s'étend sur plus de quatre décennies puisque le début littéraire date de 1943, avec « Panopticum ») de
Ion Caraion pour juger de la pertinence de la sélection, mais les choix de Jean-Pierre Vollotton ont comme fil rouge cette notion de chant de douleur. Comme il s'en explique dans la préface : la quête du poète est une « quête éperdue qui, sous le ressac imperturbable du temps, conduit aussi fatalement à la souffrance : « (...) les eaux roulent dans l'éternité,/comme la forme de la pensée vers la fin de la douleur. » […] Dès lors, en pleine conscience de la faillite générale, quelle attitude le poète va-t-il adopter ? Quels accents donner à son oeuvre ? […] «Chanter en vain/l'indéfectible éloge de la beauté ? » Bien : chantons. Mais que le chant se déploie la mesure de l'univers, obscur et clairvoyant, multiple et solitaire, inespéré, désespérant. Puisque douleur il y a, que le poème se fasse chant de la douleur humaine, fraternité dans la souffrance – germe ténu de l'espoir ».
Force est de constater que la douleur chez
Ion Caraion n'est pas que métaphysique. En effet, le poète a passé onze ans en tout en prison, chose que
Jean-Pierre Vallotton évoque à peine, au détour d'une phrase en mentionnant que « Sommeil » « appartient également aux poèmes d'incarcération ».
J'ai cherché à en savoir plus avec ce que j'avais sous la main. Ainsi
Nicolae Manolescu, dans
Istoria critică a literaturii române, commence par douter de la « postérité » de ce poète, auteur toutefois de plus d'une vingtaine de livres (pour la plupart des recueils de poésie) tous publiés « avec l'accord personnel de Nicolae Ceaușescu ». Par delà quelques considérations assez elliptiques sur les relations troubles qu'a entretenues le poète avec le régime communiste, il importe de retenir que le critique littéraire, n'apprécie pas trop cette poésie. Pourtant, je vais vous traduire un passage dans lequel il constate lui aussi l'omniprésence de la douleur : « le plus inattendu est qu'une poésie [...] dans laquelle crie, comme chez Munch une conscience hantée par des anxiétés, tout à la fois paranoïaque et scindée, une poésie d'un expressionnisme natif, comme la respiration, peut prendre, par endroits, une tournure tout aussi spontanée, surréaliste ». (p. 925) Cela me semble pertinent à l'aune de ma lecture.
Sur sa vie et ses déboires politiques on en apprend plus chez
Marian Popa, dans le premier tome I de
Istoria literaturii române de azi pe mâine (2 volume). Je retiens pour vous ici, car cela m'apparaît finalement anecdotique (sic!) par rapport aux accents universels de sa poésie, simplement qu'il fut l'ami de
Virgil Ierunca et de son épouse
Monica Lovinescu.
Le poème qui donne le titre est à découvrir pages 41 à 48, tandis que mon poème préféré est « Continûment la discontinuité ».