Édouard Veniaminovitch Savenko dit
Limonov a eu, au regard du portrait dressé par
Emmanuel Carrère, une vie pour le moins atypique et hors norme.
Né en 1942 d'une ouvrière et d'un tchékiste subalterne de ce qui allait devenir le KGB. le récit de cette existence marquée par la pauvreté et un besoin dévorant de connaître la gloire et l'admiration de tous nous transporte de l'URSS au New York de la fin des seventies, de la France littéraire des années 1980 aux Balkans avant de revenir à la Russie métamorphosée suite au démantèlement de l'Empire soviétique.
La personnalité même de
Limonov se révèle très ambiguë. C'est un homme dur et doté d'un ego surdimensionné. Il est difficile d'éprouver de l'empathie pour lui, en dépit des épreuves qu'il a dû traversées. Pour autant, je ne peux pas affirmer l'avoir détesté. C'est plus complexe que cela et il se dégage de cet homme une fascination indéniable. Ce que rend à merveille
Emmanuel Carrère.
Au début, j'ai été surprise de trouver dans une biographie de
Limonov tant d'éléments autobiographiques de l'auteur. Assez surprenant mais finalement, ça offre une mise en perspective de son personnage par rapport à la vie beaucoup plus sage et mesurée d'
Emmanuel Carrère. Il faut dire qu'il ne partait vraiment pas avec les mêmes cartes en mains.
Outre le récit biographique, ce qui m'a complètement emballée dans ce livre, c'est le contexte dans lequel il se déroule. L'auteur offre un panel historique depuis 1942 jusqu'à 2009. Vaste fresque entre la Seconde Guerre Mondiale, la guerre froide, le dégel et les années perestroïka de
Gorbatchev, le démantèlement de l'URSS, les conflits des Balkans puis en Tchétchénie. La vie quotidienne des Russes sous Staline puis ses successeurs est bien définie tant par les souvenirs de
Limonov que par les récits parallèles de dissidents célèbres tels que
Soljenitsyne ou Sakharov. Les manoeuvres du KGB, les déportations en goulag sans procès, les interdictions qui ponctuent le quotidien, etc. Puis l'après URSS avec les coups d'État, avec les oligarques qui mettent la main mise sur l'argent dans un système capitaliste sauvage et déréglé tandis que les masses populaires se serrent toujours plus la ceinture, perdues dans cette "démocratie" qu'ils ne comprennent pas.
Emmanuel Carrère résume les guerres des Balkans avec les atrocités commises d'un côté comme de l'autre et la complexité d'une situation où les parties semblent se multiplier à l'envie.
L'arrivée de Eltsine au pouvoir et son alcoolisme pathétique puis la venue de Vladimir Poutine, que les oligarques choisissent en croyant pouvoir le contrôler et le manipuler. Dans le genre erreur stratégique, ils se posent là sur ce coup!
L'auteur réussit brillamment ce tour de force de mélanger éléments biographiques et récits historiques et géopolitiques. Il parvient à maintenir l'équilibre quant à la personnalité de son héros, avec franchise et discernement. Il raconte tout aussi bien ses écarts qui en font un salaud de première que ses mérites; il sait reconnaître les éventuelles affabulations de
Limonov tout en expliquant que s'il a moult défauts, il ne ment pas facilement, plus par orgueil que par vertu.
Ce livre est passionnant et se lit avec bonheur. J'ai beaucoup apprécié le style et l'écriture de l'auteur, avec un petit bémol pour le recours à un langage ordurier qui n'était pas toujours de mise. Mais ce tout petit bémol n'entache en rien les grandes qualités de son ouvrage.
On m'a chaudement recommandé
le royaume; ce sera certainement le prochain livre que je lirai de lui.