Les Pièges du désert

Druce ne se berce d’aucune illusion. Elle est pour lui une maîtresse excitante, aux savoureux attraits, mais son cœur n’est pas le moins du monde concerné. Si elle se retrouvait veuve inopinément, ce qui est dans l’ordre des choses, il s’éclipserait aussitôt de sa vie de peur qu’elle ne devienne une menace pour sa liberté. Même pour tenter d’assagir Julius et Nigel et de mettre un frein à leurs excès, songe-t-il, je ne commettrais pas l’erreur de gâcher ma vie comme elle l’aurait été si Louise avait vécu. Un frisson le saisit à la pensée de ce que serait cette existence. Entendre sa voix lui répéter jour après jour qu’elle le tenait pour un être méprisable et déplaisant. Sentir irradier d’elle des vibrations de haine au point de ne plus supporter d’être dans la même pièce qu’elle.

Soudain il l’enlace et l’attire à lui, sans douceur, presque brutalement. Puis il plaque les lèvres contre les siennes et l’embrasse avec violence, avec passion, avec exigence. Elle peut à peine respirer. En même temps l’extase de ces baisers volés, insatiables, arrachés sauvagement à sa bouche, la transporte au septième ciel. Elle n’a plus de pensées, son corps n’est plus que sensations. L’extase qu’ils ressentent est telle qu’ils ont l’impression de basculer dans un autre univers.
C’est l’amour, Shamara le sait, l’amour absolu, l’amour qui est la vie même : irrésistible, magique, si intense que l’âme y participe en même temps que le corps.

Elle lève alors son visage vers lui. Comme attiré par un aimant, il tourne la tête et, pour la première fois, observe de près ses yeux sombres aux paillettes de feu, ses lèvres pulpeuses. Un vertige le saisit. Pour ne plus affronter ce regard profond, ces yeux pareils à des lacs insondables, il préfère détourner les siens.

Toi et moi nous allons la modeler, la former, lui donner des cours. Et le jour où elle sera fin prête, où elle saura tout sur le bout du doigt, comment parler, comment bouger, comment se tenir, je parie qu’il ne lui faudra pas plus d’un an pour devenir une jeune fille accomplie à la beauté sidérante.

Etre n’importe où avec toi, songe Druce, serait une magie dont j’ai toujours ignoré le pouvoir. Il voudrait lui dire ces mots, lui crier l’amour qui le submerge, ce désir de se fondre en elle : l’envie du fleuve de rejoindre l’océan. Mais cette dernière pudeur l’en empêche, un restant d’orgueil masculin qui désormais lui semble pourtant si vain. L’ultime combat pour édifier de fragiles remparts contre la fascination qu’elle exerce sur lui. Plutôt que de lui parler ainsi, il préfère l’embrasser une fois de plus et se perdre dans leurs baisers comme dans un puits sans fond.