"Qu'est-ce que vous voulez voir ?" rappelle un peu "La maison de chef" : dans un cas comme dans l'autre, un mari et une femme s'efforcent de sauver leur ménage, mais leurs blessures sont si profondes que la séparation est devenue inéluctable. La métaphore finale de la nourriture gâtée renvoie à une nouvelle des Vitamines du bonheur, "Conservation", qui suggérait aussi que les relations humaines sont périssables, comme les aliments surgelés, et qu'à partir d'une certaine imite, le gâchis est irrémédiable.
(page 133 de la Postface)
Les deux nouvelles exhumées par Bill et Maureen datent du début des années 1980, et traitent l'une et l'autre de couples au bout du rouleau. Dans "Appelle si tu as besoin de moi", on retrouve la préfiguration de la métaphore centrale d'une nouvelle qui allait ultérieurement paraître dans Les Trois Roses jaunes, "Le bout des doigts" : des chevaux surgissant mystérieusement de la brume au moment de la séparation fatidique.
Ray a bien des fois pris pour sujet des hommes qui essayent de repartir à zéro, notamment dans "Là d'où je t'appelle". Dans "Du bois pour l'hiver", la première des nouvelles inédites qui parut dans Esquire, un homme débite huit stères de bois dans l'espoir que cela l'aidera à se remettre de son alcoolisme et de l'écroulement de son mariage. Il essaye aussi de retrouver la force d'écrire, et j'y vois un écho émouvant des premiers temps de notre vie commune. C'était en 1979, à El Paso, et Ray renouait enfin avec l'écriture après avoir passé dix longues années dans les affres de l'alcoolisme.
(page 132 de la postface écrite par Tess Gallagher)
Je grillai une cigarette au coin du feu. Quand je me tournai de nouveau vers la fenêtre, mon regard fut attiré par un mouvement dans la brume et je vis un cheval qui broutait dans le jardin.
Je m'approchai de la fenêtre. Le cheval leva brièvement les yeux sur moi, puis il se remit à mordre dans les touffes d'herbe. Un deuxième cheval entra dans le jardin, frôlant la voiture au passage, et se mit à brouter aussi. J'allumais la lampe de la véranda et je les observai depuis la fenêtre. C'étaient des chevaux blancs de belle taille, avec de longues crinières. La clôture d'un pré devait être endommagée, à moins que quelqu'un n'ait oublié de refermer une porte. Ils s'étaient échappés et le hasard les avait menés jusqu'à notre jardin de devant. De toute évidence, ils étaient ravis de leur petite escapade. Mais en même temps, ils étaient anxieux ; du haut de ma fenêtre, je voyais le blanc de leurs yeux, et tandis qu'ils arrachaient des touffes d'herbe leurs oreilles s'agitaient sas arrêt. Un troisième cheval pénétra dans le jardin, puis un quatrième. Un troupeau entier de chevaux blancs broutait notre gazon.
J'entrai dans la chambre et je réveillai Nancy. Elle avait les yeux rouges, les paupières gonflées et des bigoudis dans les cheveux. Une valise ouverte était posée par terre au pied du lit.
- Nancy, dis-je. Viens, chérie. Il y a quelque chose dans le jardin. Il faut que tu voies ça, tu ne vas pas en croire tes yeux. Dépêche-toi.