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EAN : 9782879291017
188 pages
Editions de l'Olivier (20/04/1996)
4.09/5   95 notes
Résumé :
Les récit, de Raymond Carver sont d'une simplicité déconcertante. S'ils nous touchent si profondément, c'est que les vraies tragédies de notre époque se déroulent dans l'intimité autant que sur les champs de bataille. Leurs héros : une serveuse de restaurant, un chômeur, un père anxieux, une femme divorcée, des voisins trop curieux, un enfant malade. Ils nous ressemblent...
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Critiques, Analyses et Avis (12) Voir plus Ajouter une critique
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L'existence de ce recueil est très intimement liée à la sortie du film Short Cuts de Robert Altman en 1993 qui puise sa matière de ces neuf nouvelles et de ce poème. Les nouvelles qui constituent ce recueil proviennent à l'origine de recueils différents et ayant des dates de publication différentes s'échelonnant sur plus de quinze ans de la production de Raymond Carver.

Il est important de noter que le choix de réalisation qu'a fait Robert Altman, à savoir, entrecroiser toutes les histoires simultanément, dénature profondément l'écriture de Carver, qui, lui, nous propose des histoires indépendantes et très linéaires, prises une à une. Ceci pourrait avoir tendance à faire croire que l'écriture de Carver se rapprocherait de celle d'un Dos Passos, dans Manhattan Transfer, par exemple, qui mélange les destins de nombreux personnages non connectés, or il n'en est rien. Ce procédé n'est pas inintéressant et se prêtait particulièrement bien au propos du réalisateur, de vouloir brosser un tableau de l'Amérique moyenne contemporaine, mais ne correspond pas vraiment aux caractéristiques propres de l'écriture de l'auteur qui nous occupe aujourd'hui.

Ce sont donc dix histoires, déconnectées, mais ayant toutes un rapport avec l'Américain moyen, monsieur tout-le-monde, avec ses petits travers, avec ses coups de malchance, avec l'air du temps.

1) De L'Autre Côté Du Palier nous évoque le comportement légèrement envieux d'un couple d'amis qui gardent l'appartement de leurs voisins et se permettent quelques libertés en leur absence.

2) Ils T'Ont Pas Épousée est sans doute l'une des plus pathétiques — au sens pitoyable —, mais ne faisant écho qu'au pathétique — au sens minable — de certaines personnes, en l'occurrence un homme qui écoute les commentaires de certains pauvres types à propos du physique de sa femme et qui, ce faisant, lui impose des changements d'hygiène de vie drastiques.

3) Les Vitamines Du Bonheur abordent plusieurs thèmes, dont celui de la réussite professionnelle des femmes, dont celui de l'empiètement de la vie professionnelle sur la vie privée (plus d'actualité que jamais !) ou encore, celui, assez omniprésent chez Carver, de l'adultère.

4) Tais-Toi, Je T'En Prie, Tais-Toi ! est une Xème mouture de l'adultère et de ses conséquences selon Carver. Ici, l'évocation d'un simple souvenir, battement d'aile de papillon au Cap et qui provoque une tornade à Los Angeles…

5) Tant D'Eau Si Près De La Maison est une nouvelle assez inclassable, qui nous présente le prosaïsme et le manque d'empathie d'un groupe de copains partis à la pêche auprès d'une rivière sauvage et qui, découvrant un cadavre, terminent bien tranquillement leur partie de pêche avant de prévenir les autorités,puisque, de toute façon, il n'y a plus rien à faire pour elle…

6) C'Est Pas Grand-Chose, Mais Ça Fait Du Bien est, selon moi, la nouvelle la plus aboutie et la plus intéressante du recueil, en tout cas, c'est ma préférée. Elle nous conte un fait divers, une maman qui commande un gâteau d'anniversaire chez le pâtissier pour son fils et fils en question qui se fait faucher par une voiture le jour de l'anniversaire en question. L'angoisse des parents et la scène d'hôpital est magistralement rendue, de même que la scène finale que je vous laisse découvrir.

7) Jerry Et Molly Et Sam est encore une nouvelle bien sentie où le cadeau empoisonné d'une chienne bâtarde aux enfants devient le révélateur d'une vie loupée pour le père de famille. Très finement observé…

8) L'Aspiration, autre nouvelle un peu atypique du recueil, qui surfe sur la futilité de notre statut d'individu consommateur, pas si éloignée d'après moi de la pièce de Miller, Mort D'Un Commis Voyageur.

9) Dites Aux Femmes Qu'On Va Faire Un Tour (et je vous laisse deviner ce qui peut bien passer par la tête de deux copains de longue date, légèrement encroûtés dans leur vie de jeunes papas, lorsqu'ils ont quartier libre pour la journée…)

et enfin 10) Citronnade, un poème vaguement poétique, qui montre le regret d'un père qui demanda à son fils d'aller faire quelque chose et qui n'en revint jamais. Et si je ne lui avais pas demandé, et si…, et si…, et si… Bref, l'éternelle chaîne de causalité et l'éternelle vacuité de la vie.

En somme, un recueil solide, quelque peu inégal, je trouve, mais qui a le mérite de présenter un certain panorama de l'Amérique, ce qui a son intérêt et Robert Altman ne s'y est pas trompé. Peut-être pas un indispensable, mais un bon moment à passer par un orfèvre ès nouvelles. Mais ce n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Un café, une bière, un whisky, une photographie de Wim Wenders sur la couverture m'accompagnent. le ciel est bleu, le soleil se couche dans ce lointain horizon, quelques flaques d'eau renvoient ses derniers rayons. Une station-service qui semble déserte, à croire que le monde est en confinement. Un dinner qui sent la tarte à la cerise sortie du four. Des histoires pour une dernière bière. C'est toujours un plaisir de retrouver la plume simple, d'un autre temps, celle d'un Raymond Carver. En neuf histoires et un poème. Il décortique la vie, le couple, les histoires derrière une fenêtre ou une porte, celles qu'on se racontent autour d'un verre ou de deux, celles qu'on s'imagine lorsqu'on est allongé sur le dos et que sa femme appose ses lèvres sur ton sexe vieillissant. Dans ces histoires, j'y retrouve mon compte, un pauvre type qui se trouve vieillissant, un couple se confrontant à l'hospitalisation de son fils, une serveuse esseulée, un type qui veut boire une bière, un autre type qui veut boire une autre bière, un troisième type qui veut boire une énième bière. Tiens, j'ai envie de boire une bière également.

Rien de plus banales que les histoires de Carver. Pourtant, elles intéressent. Moi en particulier. Parce que je suis ce pauvre type dans cette nouvelle, le même dans l'autre nouvelle, celui qui boit une bière, seul dans son coin en rêvant de la serveuse, ou d'un sourire oublié. Je suis ce vieux qui se remémore ses histoires, la banalité de sa vie, l'échec de ses instants, des instants qu'une femme aimée oublie en quelques secondes. Je suis ce gars qui monte dans un pick-up, qui prend la route et qui ne sait pas jusqu'où rouler, jusqu'à ce que la route tourne vers un chemin caillouteux sans fin, ou jusqu'à ce qu'il tombe sur un bar encore ouvert, des néons clignotent, une lune bleue diffuse, un parfum de sueur, une odeur de patchouli. C'est pas la fin du monde, c'est juste la tristesse d'un monde.

Dans ce monde de poussière, un dernier verre, une dernière musique, une dernière histoire, la dixième celle de ma vie que Raymond Carver n'a pas eu le temps de composer. Je n'ai plus de citronnade, tu peux aller me chercher un pack de bières…
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Une épigraphe est une citation placée en tête d'un écrit, en particulier un livre ou une partie d'un livre, pour en suggérer le contenu ou l'esprit, et donner ainsi une idée des intentions de l'auteur. Celle de l'excellent recueil de nouvelles de Gilles Dienst « le sens de la vie » était signée Raymond Carver. J'ai pu constater la puissance de la force transmise, émergeant de l'oeuvre de Gilles Diens. Il devenait impératif pour moi d'aller voir qui était cet auteur.

Voici tout d'abord cette formidable citation de cet écrivain américain considéré comme le maître de la nouvelle :

« Il y a d'abord cette vision fugace. Ensuite la vision
fugace s'anime, se mue en quelque chose qui va
illuminer l'instant et va, peut-être, laisser une
empreinte indélébile dans l'esprit du lecteur, qui
l'intègrera à son expérience personnelle de la vie, pour
reprendre la belle formule d'Hemingway. Pour de bon.
Et à jamais. C'est là tout l'espoir de l'écrivain. »

Le style, dans Neuf histoires et un poème, est la première chose qui m'a frappé ! Une force rare, dans la concision... Comment l'auteur parvient-il à nous happer dans son histoire aussi vite, aussi totalement ? Certaines histoires sont des chefs-d'oeuvre. Oui, des chefs-d'oeuvre qui ont souvent été adaptés au théâtre, au cinéma... Robert Altman s'est, par exemple, inspiré des récits de ce recueil pour son film Shortcuts, lauréat du Lion d'Or de Venise en 1993.

J'ai trouvé une belle cohérence dans le choix et le traitement des sujets. L'auteur s'intéresse aux gens du peuple, à leurs difficultés d'accès au travail – un travail inintéressant la plupart du temps, des personnages en manque d'argent et de perspectives pour le futur. Il aime mettre en scène un couple ou des couples qui se rencontrent – en crise bien souvent. Autres thèmes communs à ces récits, l'incompréhension et la violence entre hommes et femmes, l'incommunicabilité entre tous et toujours une dose de mystère. Il plonge d'emblée le lecteur dans la situation, découvrant très vite le point de bascule et le glissement vers une suite indécise.

Les hommes sont volages, attirés par l'alcool. La violence n'est jamais loin. Rarement les moeurs de l'Amérique étasunienne n'ont été aussi bien relatées.

Voici une petite présentation de chacune des nouvelles, sans en dévoiler plus qu'il ne faut... Et un astérisque pour celles qui m'ont le plus marqué.

Voisins de palier * : deux couples sont voisins et amis. Enfin amis, c'est vite dit... Un des couples part en vacances. le couple « ami » accepte bien entendu d'aller nourrir le chat, arroser les plantes. Situation banale sauf que la différence de statut social, la jalousie va faire du dégât...

Ils t'ont pas épousée : Earl regarde sa femme différemment depuis qu'il a capté certaines réflexions de clients à la cafétéria où elle est serveuse. Il devient exigeant avec elle, très exigeant et veut la changer...

Les vitamines du bonheur * : le travail est très présent dans ces nouvelles. Ici il consiste à vendre des vitamines. « J'avais un travail et Patti n'en avait pas ». Lui a « un job minable », elle, Patti, doit sonner aux portes des gens pour vendre ses vitamines. Une scène est particulièrement marquante, celle du bar où le narrateur accompagné de Donna, l'amie de Patti, qu'il doit raccompagner chez elle, rencontre Nelson, un gars tout juste rentré du Viêt Nam – en pleine guerre et il est sérieusement perturbé.

« Nelson a levé sa bouteille et a bu une rasade au goulot. Il a revissé le bouchon, posé la bouteille sur la table et mis son chapeau par-dessus. « Vraiment bons amis », il a dit. »

Tais-toi je t'en prie : Ralph raconte comment il a fait avouer à sa femme Marian une infidélité datant de plusieurs années. La précision de l'écriture permet de visualiser les scènes d'une façon incroyable, vraiment impressionnante. L'errance de Ralph suit la révélation, pourtant il a promis de ne pas se fâcher. Les mains, les yeux sont au centre de l'écriture dans cette nouvelle.

Toute cette eau si près de la maison * : Claire raconte ce qui est arrivé à son mari lors d'une partie de pêche avec des copains. Un cadavre découvert dans le lac... Angoisse de la femme, rejet de toute culpabilité de l'homme dans une affaire qui ne semble pas le concerner vraiment.

Une petite douceur * : un enfant victime d'un chauffard. Un gâteau d'anniversaire commandé et jamais récupéré. S'il y avait un seul récit à lire sur la peine de la disparition d'un être cher ce serait celui-là. le talent de Raymond Carver à peindre la condition humaine éclate ici en plus d'un art du récit court tout à fait stupéfiant. Une de mes nouvelles préférées de ce recueil qui risque bien de me laisser une empreint indélébile, me marquer à jamais.

Jerry et Molly et Sam : recevoir un chien en cadeau peut perturber l'équilibre d'une famille, surtout si cet équilibre est précaire au départ. Al, qui craint de perdre son travail, en voit sa vie bouleversée. Déjà que tout va mal... Pourquoi ne pas se débarrasser du chien à l'insu de sa femme et des enfants ?

L'aspiration : une autre histoire avec de la vente à domicile. Un mystérieux représentant en aspirateur fait irruption dans la vie d'un homme sans travail. Une nouvelle décalée et délicieusement absurde.

Je dis aux femmes qu'on va faire un tour : Bill et Jerry sont des amis de longue date et le reste quand ils ont une vie de couple avec maison, enfants... Mais un jour Jerry emmène Bill faire un tour, croisant sur la route deux filles à vélos...

Citronnade : Raymond Carver a aussi écrit de la poésie. le texte présenté ici s'apparente plus à une courte nouvelle, selon moi...

Il y a du génie dans l'écriture de ces nouvelles. Raymond Carver y a aussi mis beaucoup de lui-même, on peut y lire une partie de ce qu'a été sa courte vie – il disparaissait en 1988 à l'âge de cinquante ans.

Les vitamines du bonheur est le titre d'un autre recueil célèbre et, vraiment, j'en reprendrais bien quelques doses. Pas vous ?
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** Replay **
La citronnade: replay en poésie, frais & acide
oh j'aimerais tellement tellement refaire le chemin à l'envers,
et si et si
trouver consolation en le continuant à l'endroit, j'y arrive pas
ou en lui en inventant une autre fin.
"Ce serait une trop grande douceur.
Alors je me rappelle à l'infini
ce moment où
la vie était douce,
ce moment où
il m'avait été donné une autre vie"
- mon fils -

Concentré d'émotions
en quelques mots sur la perte d'un être, sur ce sentiment de culpabilité,
sur ces interrogations à l'infini, sur cette envie de ne plus être,
(à lire en français comme une nouvelle)
Condensé d'émotions

Dans ce menu gastronomique découverte, 9 plats et 1 dessert
la grande force de Carver:
liberté, libre-arbitre accordé à chaque lecteur
de se projeter sur son propre écran intérieur, en intimité
Il résonne comme un Hopper, superbe --- la couverture,
dans cette solitude de glace (s), chacun seul, en face à face.

Jean-Pierre Coffe, ressuscite, made US,
- confiné, il débarque, inspecte notre frigidaire
et nous concocte ( ! surprise !)
un repas nouvelle cuisine
en 9 assiettes individuelles
ou tupperwares, à mettre au congélateur.
( + dessert )
et c'est goûteux

Pour la saveur aigre-douce de l'ensemble du menu,
"compliments" au Chef Carver,
Quel univers singulier, particulier, codifié
que celui de la nouvelle (réussie)

Merci de me l'avoir fait découvrir

** Replay **
Il aurait été plus simple de faire mention
* soit de Short Cuts, the movie --- impossible de figer Carver à l'écran, c'est un moment qui passe à imaginer, à continuer ou à prendre tel quel
Vol au dessus d'un nid de coucou ?

* soit de la définition-même de la nouvelle dont
Carver semble se moquer librement en la respectant à la lettre et à l'esprit - càd en la réinventant totalement - le plus percutant exemple dans ce recueil serait "tais-toi je t'en prie" où seule, la pensée seule (solitude) est le personnage en mouvement, le reste est accessoire

** La poésie, citronnade, moins réussie en termes de sonorités, surtout en français, est une démonstration "accessible" de l'esprit de l'auteur et une des raisons de la maison d'édition de la rajouter à ce recueil.
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Le style dépouillé de Carver renforce son propos.
Des gens simples, bien comme il faut, avec « l'encéphalo qu'il faut » dirait Bashung, pètent les plombs, se vengent sur autrui de l'aliénation qu'ils subissent chaque jour, trouvent dans l'oppression la solution pour échapper à la veulerie dans laquelle ils se vautrent chaque jour.
Un homme force son épouse vieillissante à suivre un régime en la harcelant au comptoir du bar où elle est serveuse, prenant à témoin d'autres clients.
Un père de famille décide d'abandonner le chien de ses enfants pour réduire les dépenses de la famille alors que lui-même s'autorise une double vie avec une autre femme.
Jaloux de la réussite de leurs voisins, un couple accepte d'arroser leurs plantes et de nourrir le chien lorsqu'ils sont en vacances et s'envoient en l'air en vivant chez eux.
Un homme alcoolique a retrouvé son équilibre auprès d'une femme qu'il aime, mais la harcèle pour qu'elle raconte comment, un soir de beuverie du passé, elle l'a trompé avec un ami. Poussée à bout, elle avoue. Il replonge.
Dévastés par la mort de leur enfant tué dans un accident de la route, le jour de son anniversaire, un couple trouve chez le pâtissier auprès duquel ils avaient commandé un gâteau, l'empathie et le réconfort qu'ils n'ont pas trouvé ailleurs.
Des histoires courtes, sans esbroufe, qui mettent l'humanité à nu et nous interpelle.
Pour apporter ma contribution au débat Altman, Short Cuts et Carver, 9 histoires, je dirai que le film Short Cuts n'a rien à voir avec les nouvelles de Carver.
En voulant faire plus fort que Carver, Altman en rajoute, les célébrités choisies pour incarner les personnages sur jouent (Tom Waits, Andie Mac Dowell, Jack Lemon ne convainquent pas). de plus l'idée géniale de créer un lien entre les personnages est hors sujet et n'apporte rien au propos de Carver.
Carver est un auteur de la solitude. Ses personnages sont face à eux même. Ils voient l‘autre comme une réplique de leur personnalité. Leur dérive vient du fait qu'ils imaginent le monde à leur image.
Lisons Carver sans penser à Altman. Et tout sera pour le mieux dans le meilleur des mondes.

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Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
Les yeux de l'enfant s'étaient ouverts puis refermés. Ils se rouvrirent. Les yeux regardèrent droit devant eux une minute, puis pivotèrent lentement, se posèrent sur Howard et Ann, puis se détournèrent.
— Scotty, dit sa mère, s'approchant du lit.
— Hé, Scott, dit son père. Hé, fiston.
Ils se penchèrent sur le lit. Howard prit la main de l'enfant dans les siennes et se mit à la tapoter et à la serrer doucement. Ann se pencha et couvrit de baisers le front de son fils. Elle lui prit le visage entre ses mains.
— Scotty, mon chéri, c'est Maman et Papa. Scotty ?
L'enfant les regarda, mais sans les reconnaître. Puis sa bouche s'ouvrit, ses yeux se fermèrent, et il hurla jusqu'à ce qu'il n'eût plus qu'un souffle d'air dans les poumons. Alors son visage se détendit et s'adoucit. Ses lèvres s'écartèrent comme son dernier soupir remontait dans sa gorge et s'exhalait doucement à travers ses dents serrées.
Les docteurs appelèrent ça une occlusion cachée, disant qu'ils en voyaient un cas sur un million. S'ils avaient diagnostiqué son état et opéré immédiatement, peut-être qu'ils auraient pu le sauver. Mais c'était improbable.

C'EST PAS GRAND-CHOSE, MAIS ÇA FAIT DU BIEN.
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Earl but son café en attendant le sandwich. Deux types en complet-veston, le col ouvert et la cravate desserrée, s'assirent à côté de lui et demandèrent du café. Au moment où Doreen s'éloignait, la cafetière à la main, l'un des deux types s'exclama :
— Vise-moi un peu cette paire de miche ! C'est pas croyable !
L'autre se mit à rire.
— J'ai vu mieux, fit-il.
— C'est ce que je voulais dire, dit le premier. Mais t'as des gars, ils aiment leurs chagattes bien grasses.
— Pas moi, dit l'autre.
— Moi non plus, dit le premier. C'est ce que je te disais.
[…]
Elle revint avec la cafetière et, après avoir rempli la tasse d'Earl et celles de ses deux voisins, elle s'arma d'une coupelle et leur tourna le dos pour puiser de la glace. Elle plongea un bras dans le bac du congélateur et racla le fond avec le presse-boules. Sa jupe de nylon blanc remonta sur ses hanches, découvrant le bas d'une gaine rose, des cuisses grises, fripées, un peu velues et des veines qui formaient un entrelacs dément.
Les deux types assis à côté d'Earl échangèrent des regards. L'un d'eux haussa les sourcils. L'autre, la bouche fendue par un sourire, continua de lorgner Doreen par-dessus sa tasse de café tandis qu'elle nappait la glace de sirop de chocolat. Lorsqu'elle se mit à secouer la bombe de chantilly, Earl se leva et se dirigea vers la porte en abandonnant son assiette intacte. Il l'entendit crier son nom, mais il ne s'arrêta pas.
[…]
Au matin, après qu'elle eut expédié les enfants à l'école, Doreen entra dans la chambre et releva le store. Earl était déjà réveillé.
— Regarde-toi dans la glace, lui dit-il.
— Hein ? fit Doreen. Qu'est-ce que tu racontes ?
— Regarde-toi dans la glace, c'est tout.
— Qu'est-ce que je suis censée y voir ?
Mais elle se campa devant le miroir de la coiffeuse et repoussa les cheveux qui lui tombaient sur les épaules.
— Alors ? dit Earl.
— Quoi, alors ?
— Ça m'embête de te dire ça, mais je trouve que tu devrais songer à te mettre au régime. Sérieusement. Je ne plaisante pas. Je trouve que tu devrais perdre quelques kilos. Ne te fâche pas.
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
— Rien d'autre que ce que je viens de dire. Je trouve que tu devrais perdre quelques kilos. Maigrir un peu.
— Tu ne m'as jamais fait aucune remarque, dit-elle.
Elle releva sa chemise de nuit au-dessus de ses hanches et se mit de profil pour regarder son ventre dans la glace.
— Ça ne m'avait jamais gêné jusqu'à présent, dit Earl en pesant soigneusement ses mots.

ILS T'ONT PAS ÉPOUSÉE.
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Depuis quelque temps, tout allait mal. Il avait bien assez d'emmerdements sans avoir à se soucier en plus de ce sale cabot. Chez Aerojet, on dégraissait, alors qu'en bonne logique il aurait dû y avoir de l'embauche. C'était le milieu de l'été, les contrats de la Défense affluaient, et la direction de l'usine parlait de réduire son personnel. Et le réduisait même bel et bien, à petites doses. Chaque jour, il y avait quelques licenciements de plus. Et Al était aussi menacé qu'un autre, même si son embauche à lui remontait à bientôt trois ans. Il avait d'excellentes relations avec les gens qu'il fallait, mais par les temps qui courent, l'ancienneté, le copinage, tout ça ne vaut pas un pet de lapin. Il suffirait de tirer le mauvais numéro, et vlan ! Personne n'y pouvait rien. S'ils décidaient de licencier, ils licencieraient. Par paquets de cinquante, ou de cent.

JERRY ET MOLLY ET SAM.
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J'en pinçais pour Donna, l'autre membre du noyau. Le jour de la soirée, on avait dansé sur des disques de Duke Ellington. La main posée au creux de ses reins tout en évoluant sur le tapis, je la serrais de près, je sentais le parfum de ses cheveux. C'était chouette de danser avec elle. J'étais le seul homme, et il y avait sept filles, dont six dansaient entre elles. Le spectacle du séjour, c'était chouette.
J'étais dans la cuisine quand Donna est entrée avec son verre vide. On s'est regardé. Je l'ai prise dans mes bras et on s'est embrassé. Immobiles, on est resté un moment enlacés comme ça.
Puis elle a dit :
— Non. Pas maintenant.
En entendant ce « pas maintenant », je la lâchai. Je me disais que c'était aussi sûr que de l'argent en banque.

LES VITAMINES DU BONHEUR.
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Et maintenant il avait une maîtresse, bon Dieu de bois ! Un boulet de plus à traîner. Il ne tenait pas à ce que leur liaison s’éternise, mais il ne voulait pas rompre non plus : on ne peut quand même pas tout jeter par-dessus bord dès qu’une tempête se lève. Al était en train de partir à la dérive, il le savait, et il ne voyait vraiment pas comment ça finirait. Mais il avait le sentiment de plus rien contrôler. Plus rien. Ces temps-ci, la peur de la vieillesse s’était mise à le hanter après qu’il eut souffert de constipation plusieurs jours de suite, car c’était un trouble qu’il associait aux gens âgés. Et puis le début de la calvitie qui était apparu au sommet de son crâne commençait à le tarabuster, et il lui arrivait de se demander s’il n’était pas temps de réviser sa manière de se coiffer. Qu’allait-il faire de sa vie ? Il aurait bien voulu le savoir.
Il avait trente et un ans.
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Vidéo de Raymond Carver
Découvrez l'émission intégrale ici : https://www.web-tv-culture.com/emission/fanny-wallendorf-jusqu-au-prodige-53573.html Du plus loin qu'elle s'en souvienne, Fanny Wallendorf a toujours eu le goût de l'écriture. Dès 7 ans, elle garde en mémoire les courts textes qu'elle produisait. Mais c'est bien par la lecture qu'elle prend le chemin de ce qui fera d'elle une romancière. Fascinée par l'écriture et le personnage du poète et écrivain américian Neal Cassady, compagnon de route de Jack Kerouac, elle traduit ses correspondances et frappe à la porte des éditions Finitude qui s'enthousiasment pour son projet. Nous sommes en 2014. Dès lors, Fanny Wallendord traduit pour cette maison plusieurs textes de Raymond Carver et Phillip Quinn Morris. Mais Fanny Wallendorf n'oublie pas la gamine qu'elle a été et les propres histoires qu'elle a envie de raconter. Elle concrétise son rêve en 2019 avec « L'appel » puis en 2021 avec « Les grands chevaux » qui révèlent une écriture sensible, poétique mais rigoureuse et exigeante. Janvier 2023, voilà le 3ème titre de Fanny Wallendorf, « Jusqu'au prodige ». Nous sommes dans les années 40, la guerre n'est pas finie mais la Résistance est en marche. Thérèse a dû fuir, la mère est morte, le père est au combat, son frère, Jean, a été d'elle. La jeune Thérèse devait trouver refuge dans une ferme du Vercors mais la femme qui devait l'accueillir étant morte, c'est le fils de la ferme qui l'a reçue et en a fait son objet, l'a enfermée. Il est le chasseur. Quatre ans plus tard, au hasard d'une inattention de son geôlier, la jeune fille parvient à s'échapper. Mais là voilà seule dans l'immensité de la forêt, sans savoir où aller, cherchant à échapper aux menaces réelles ou fantasmées. Seule le souvenir de ses proches permet à Thérèse de garder l'espoir et d'envisager un avenir en retrouvant son frère Jean. Trois jours, trois nuits dans cette forêt. le doute, la peur, l'incertitude, le désespoir… jusqu'au prodige. Le texte est écrit à la première personne du singulier, c'est bien Thérèse qui nous parle et nous entraine dans cette aventure, ce chemin parsemé de ronces qui mène vers l'âge adulte. Le roman de Fanny Wallendorf est une réussite tant par l'originalité du sujet, la construction de l'histoire et la qualité de l'écriture, belle et sensible, presqu'onirique, qui rappelle que le moindre soupçon d'espoir peut aider à se relever de toutes les épreuves. « Jusqu'au prodige » de Fanny Wallendorf est publié aux éditions Finitude.
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