«
L'affaire Isobel Vine » m'a été proposé au cours d'une Opération Masse Critique privilégiée. Si j'aime beaucoup les romans policiers de tous les genres et nationalités, je n'en avais cependant encore jamais lu de cette origine. La maison d'édition présente l'auteur comme « le nouveau
Michael Connely australien ». Je ne me risquerais pas à une telle comparaison. D'abord parce que chaque écrivain existe par lui-même, avec sa personnalité et ses caractéristiques propres, ensuite, parce que, n'ayant pas (encore) lu Connely, je ne peux pas être influencée.
Bien que je n'aie trouvé que peu de renseignements à propos de
Tony Cavanaugh, je pense qu'il n'en est pas à son coup d'essai. Pourtant, cette aventure est la première à connaître les honneurs de la traduction. Darian Richards, le héros, est très certainement déjà familier aux lecteurs australiens. Je l'imagine dans une aventure précédente aux trousses de ce « Tueur du Train », dont le souvenir le poursuit et auquel il fait souvent des allusions désabusées.
L'histoire s'ouvre sur un Darian Richards quelque peu déboussolé. Il n'est ni dans un commissariat, ni sur une scène de crime, mais bien sur un lac, lui qui a peur de l'eau depuis qu'il a onze ans, et que son père, pris d'un accès de folie, l'a jeté au beau milieu de l'océan, ce qui a l'air de lui occasionner un cauchemar récurrent.
Dans son petit bateau, Darian occupe ses journées à la pêche, même si, hélas pour lui, aucun poisson ne mord jamais à l'hameçon. C'est dans cette thébaïde au milieu de nulle part que débarque « Copeland, surnommé Copland parce que c'était une encyclopédie ambulante de l'univers des flics, qui [lui] avait appris à peu près tout ce [qu'il savait] ». le troisième personnage principal fait son apparition quelques pages plus loin. Maria Chastain a secondé Darian Richards dans l'affaire du « Tueur du Train » et a même failli arrêter notre homme. C'est donc une policière de qualité dont le chef se venge, vu qu'elle est bien plus brillante que lui. Il l'affecte à une mission débile : « rester assise dans une voiture de police à regarder une procession de véhicules se traîner aux quarante à l'heure imposés par les travaux sur la route. » Darian va heureusement la sauver de cette tâche mortifère.
Le remplaçant de Copeland ayant réussi, en quelques mois, à s'aliéner tout le monde, « il avait été renvoyé et Copeland avait été arraché à la retraite pour reprendre son ancien poste. C'était censé être provisoire, mais Copeland était bon à son boulot et aimé de tous, un type rare qui mélangeait tradition et compréhension totale des tableaux et des données. » Mais, si qualifié soit-il, personne n'est éternel. Copeland a « près de soixante-quinze ans », il faut songer à lui trouver un successeur, bien entendu compétent et au-dessus de tout soupçon. le ministre a donc décidé de rouvrir un vieux dossier non résolu, dans lequel a trempé Nick Racine qui brigue le poste.
Si, au départ, il ne s'agit que de laver un officier des méchantes rumeurs qui courent à son propos, Darian Richards, qui a élucidé pratiquement toutes les enquêtes qui lui ont été confiées, ne va pas se contenter d'un survol négligent. Avec son équipe, il va reprendre le travail à zéro. Ils rouvrent donc «
l'affaire Isobel Vine » et ce qu'ils vont découvrir risque de ne pas plaire à tout le monde.
Le roman de
Tony Cavanaugh n'est pas un suspense haletant avec des rebondissements à toutes les pages. Il s'agit d'une investigation minutieuse qui va nous permettre, à nous, lecteurs, de faire connaissance avec chacun des personnages.
Par le biais d'un récit choral, l'auteur nous fait découvrir les choses sous différentes facettes, à travers les yeux de chaque protagoniste. Il donne la parole à nombre d'entre eux et un narrateur omniscient nous offre le luxe d'en savoir plus qu'eux. le récit nous promène à différentes époques et dans plusieurs endroits. Nous percevrons ainsi tous les aspects d'une histoire sordide dont la fin nous réserve une surprise de taille.
Ce qui est surtout intéressant, à mon avis, c'est qu'il n'y a pas du tout de manichéisme. Aucun des personnages principaux n'est un ange, aucun n'est pourri jusqu'à la moelle. Maria vit avec un ancien caïd de Melbourne, un biker au sang chaud, entièrement couvert de tatouages, et qui n'hésite pas à tremper dans des trafics louches.
Darian n'a pas écouté les conseils qu'on lui a donnés. Il a plongé les yeux dans le regard des victimes , et, pour les défendre, il n'hésite pas à faire un pas de côté, quitte à mettre sa propre vie en danger. Quand il roule avec Maria dans sa Studebaker rouge, il lui raconte des tas d'anecdotes. On a l'impression qu'il n'ignore rien de l'histoire de son pays et chaque endroit qu'il traverse lui rappelle d'anciens crimes qu'il a eu à traiter.
Les romans policiers traditionnels nous proposent une victime qui n'est qu'un prétexte pour faire démarrer l'enquête. Ce n'est pas le cas ici.
Tony Cavanaugh donne de l'épaisseur à Isobel. Il nous la montre pleine de vie, insouciante, aimant la fête, partagée entre deux hommes pour lesquels elle éprouve de l'attirance. Naïve par certains côtés, elle est, malgré cela, étonnamment forte. Elle a la tête sur les épaules et, en dépit de son jeune âge, vit seule dans une maison que lui a offerte son père et qu'elle entretient comme une vraie fée du logis. Elle travaille à la bijouterie d'Eli et accorde une place prépondérante à ses études. Elle ne ressemble donc pas au portrait qu'on a tracé d'elle au moment de sa disparition : fille triste, dépressive, suicidaire pour les uns, perverse sexuelle pour les autres. Mauvais clichés qui ont détourné l'attention de sa mort.
En toute impartialité, Darian et Maria, eux, vont, sans préjugés, la considérer comme un être humain auquel on a causé préjudice et auquel il convient de rendre justice, honneur et dignité.
C'est principalement ce qui m'a plu dans ce roman très bien construit et remarquablement adapté en français par
Fabrice Pointeau, car je pense qu'il faut rendre hommage au travail du traducteur qui compte pour beaucoup dans la réussite de l'oeuvre
Je suis donc très contente d'avoir lu ce livre et j'adresse mes plus vifs remerciements à l'opération Masse Critique de Babelio, ainsi qu'aux (excellentes) éditions Sonatine qui m'ont permis de le découvrir.