Ce sont des paysannes qui chantent, des filles qui n'ont plus rien à elles, plus rien que la joie fugace de faire ensemble quelque chose de très beau.
Quoi qu'il arrive, j'aurai connu ça, moi.
Dès les premiers pas, c'est la forêt enchantée, les rubis et les émeraudes, les eaux jaillissantes, le pays des merveilles, les fleurs magiques qui lèvent sous tes pas... L'extraordinaire richesse des sons dont est capable le gosier russe, la fabuleuse architecture de sa grammaire, byzantine d'aspect, magnifiquement précise et souple à l'usage... Oui. Je tombe facilement dans le lyrisme quant je parle du russe. C'est que ça a été le coup de foudre !
Les marchés, quel joli métier ! Sauf qu'il fallait décaniller aux toutes petites heures, et ça, j'aime pas trop. L'aurore aux doigts sales, c'est pas ma sœur. L'hiver, à cinq heures, il fait nuit noire, c'est là que le froid est le plus froid, je m'amenais dans la réserve à la Raymonde, un box qu'elle louait dans la cour à Pianetti, rue Thiers, derrière le petit bal. Là, à la lueur d'une lampe à carbure qui nous creusait des gueules de cadavres, on préparait la camelote, Raymonde et moi. Par exemple, elle avait un chargement de brocolis qui s'étaient mis à fermenter, les cons. ça puait à te peler les narines et ça chauffait, une vraie leçon de choses.