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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
L’imposture n’est pas qu’un mensonge et c’est en cela qu’elle parvient à tromper ceux qui s’y trouvent confrontés que ce soit l’imposteur qui finit par croire en son bien-fondé, ou ceux qui croisent occasionnellement sa route et même ceux qui le côtoient quotidiennement comme sa famille et ses amis. Se bâtissant sur des vérités que l’imposteur agrémente et mélange avec des mensonges, elle devient vraie.
L’imposteur en fait sa réalité tel Enric Marco qui parvient à faire « un roman de sa vie », que Claudio Magris qualifie de « menteur qui dit la vérité ».

Comment écrire alors, un roman sur un personnage comme Enric Marco qui aura fait de sa vie une fiction, à laquelle tout le monde croira pendant des années ? Impossible nous dit Xavier Cercas qui reculera pendant sept ans le moment d’écrire ce livre par peur de paraître réhabiliter Marco, de l’excuser, de le conforter dans son rôle de héros. 
Alors qu’il souhaitait par son livre, et aussi au fil des rencontres qu’ils auront, le faire revenir à la raison « le faire agir contre le faux Marco…retrouver le véritable Marco de même qu’à la fin de Don Quichotte, Alonso Quijano agit en faveur de lui-même en cessant d’être Don Quichotte. »

Ce livre de Xavier Cercas décortique et fait jouer toutes les facettes de l’imposture si bien que par moment on ne sait plus qui est l’imposteur lui, nous ou Enric Marco.
Comment romancier et lecteurs ne pourraient-ils pas se laisser prendre et ressentir parfois un intérêt si ce n’est une certaine admiration pour cet « embobineur hors pair » ?
Comme le dit Raul fils de Javier Cercas auquel son père vient de dire que le sujet de son prochain livre sera l’affaire Marco
« … C’est bien ce vieux qui disait qu’il avait été dans un camp de concentration et après, il s’est avéré que c’était un mensonge, c’est ça ?
(…) Un type intéressant, on ne peut pas mentir autant sans être intéressant. »

Et ce livre est non seulement intéressant mais passionnant par le jeu constant qu’il joue entre mensonge et vérité, mais aussi gênant parce qu’il nous met en face de nous-même et de nos contradictions et nous pose beaucoup de questions sur notre société où règne le mensonge, une société où l’information est falsifiée, où l’imposture est possible car elle la favorise. Qu’est le storystelling dont raffolent hommes politiques et entreprises sinon une vaste imposture à l’échelle de la société entière ?.

« … c’est surtout les médias qui ont fini par transformer Marco en héros et en champion de ladite mémoire historique, pour ne pas dire en une vraie rock star.
(…) les journalistes l’adoraient, ils en perdaient la tête, se battaient pour avoir un entretien avec lui.
(…) De plus, Marco flattait leur vanité : dans les entretiens avec ce personnage extraordinaire, ce vieux soldat de toutes les guerres ou de toutes les guerres justes, les journalistes se voyaient eux-mêmes comme d’audacieux défricheurs d’un passé négligé dont personne ne voulait parler, le meilleur de leur pays, le passé le plus noble et le mieux caché, et ils sentaient qu’ils rendaient ainsi justice, honoraient à travers Marco toutes les victimes négligées non seulement par le franquisme mais aussi par la démocratie qui lui a succédé. » p 278-279

Comme Javier Cercas je n’excuse pas Marco Enric qui maintient « qu’il n’a pas menti mais seulement altéré la vérité ». Mais le livre que je viens de lire m’a fait me questionner et m’a vraiment désarçonnée. Rien que pour cela il mérite d’être lu. Il est impossible d’en rendre toute la complexité car il met au jour toutes les contradictions qui nous habitent et les analyse en profondeur. Il ne peut pas laisser indifférent.
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Le Cercas nouveau est arrivé et c'est un grand cru.
Lorsque le romancier, épuisé par l'écriture de son livre Anatomie d'un instant arrive à la conclusion que sa vie est une farce, lui revient en mémoire le scandale "Enric Marco", "l'imposteur" , dont la révélation provoqua un émoi considérable, surtout en Catalogne. En, 2005, à la veille du 60ème anniversaire de la libération du camp de Mauthausen, l'historien Benito Bermejo révèle à l'Espagne médusée que Marco, l'infatigable porte-parole des anciens déportés espagnols, le républicain combattant, la figure du syndicalisme catalan, le conférencier qui témoigne des horreurs de la déportation, l'auteur de Los cerdos del comandante, n'avait non seulement jamais été interné au camp de Flossenburg, mais était parti travailler comme volontaire civil à Kiel en Allemagne en 1941 (date à laquelle il était supposé avoir été arrêté par la Gestapo à Marseille).
Son témoignage était aussi faux que celui de Misha Defonseca/ Monique de Wael, qui survivait avec les loups depuis la Belgique. Un passé de déporté fantaisiste, un parcours militant clandestin fictif... le très habile Enric Marco, le menteur qui dit vrai, avait fini par croire à ses inventions, tromper les Espagnols (il faut dire que la Shoah est peu connue en Espagne), pour leur offrir la figure d'un héros dans une époque trouble.
Le 15 mai 2005, Mario Vargas Llosa se fendait d'un remarquable article dans El Pais, "Espantoso y genial", dans lequel il célébrait le talent de conteur d'Enric Marco, brutalement interrompu par un historien empêcheur de tourner en rond: "Señor Enric Marco, contrabandista de irrealidades, bienvenido a la mentirosa patria de los novelistas."
C'est également cette facette du personnage qui passionne Javier Cercas. Dans ce récit protéiforme qui mêle investigation personnelle, fiction factuelle, réflexion sur l'affabulation, interrogation sur la création littéraire le romancier utilise l'image des pelures d'oignon pour parvenir à la vérité de l'affaire Enric Marco. On se remémore alors les souvenirs de guerre de Günter Grass évoqués dans son ouvrage Pelures d'oignon, mais pas seulement. El impostor fourmille de références littéraires qui ouvrent davantage encore le champ de la réflexion. Cercas poursuit ses réflexions sur le Héros, qu'il soit le républicain des Soldats de Salamine, Suarez et le 23 F (Anatomie d'un instant) , El Zarco des Lois de la frontière... Dans El impostor, sans doute sa plus belle oeuvre, Cercas montre comment Enric Marco, homme médiocre, menteur, plagiaire, faussaire est parvenu avec un incroyable talent et une audace à toute épreuve, à faire d'une existence banale la plus extraordinaire des oeuvres de fiction. Riche panorama de la vie espagnole, de l'aventure anarcho-syndicaliste de la fin des années 20 aux années post-franquistes, El impostor est la preuve que dans un temps de mémoire, et non d'histoire, l'affabulation ne peut que prospérer.


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Il y a des oeuvres qui rebutent même leurs auteurs. Soit parce qu'elles révèlent plus qu'ils ne le voudraient sur eux-mêmes, soit parce qu'elles s'attaquent à quelque chose qui dépasse les normes sociales. Et parfois, on retrouve les deux motifs concomitamment, c'est le cas pour L'imposteur qui déshabille Enric Marco de tous ses attributs de héros national. Roi déchu quelques années avant la parution de ce livre de son trône de résistant anti franquiste et de survivant de l'Holocauste, Marco se retrouve totalement nu ou presque sous la plume de Javier Cercas.
C'est pas beau à voir.
Car menant l'enquête, l'auteur espagnol démonte méthodiquement le château de sable que s'est construit Marco avec un aplomb sans pareil. Attelé à recomposer son parcours, Cercas use toutefois de la littérature pour mettre en scène sa propre investigation ou pour évacuer quelques unes des zones d'ombre. C'est certainement pour cela que l'auteur utilise volontairement l'expression de roman sans fiction et non le terme de biographie qui est quant à lui totalement absent.
Les faits grossièrement reconstitués et les certitudes peu à peu acquises donnent en tout cas un portrait fascinant à lire. On découvre un anonyme, voire un invisible prisonnier d'un narcissisme flamboyant qui n'a pas seulement menti et réinventé sa vie, il est également parvenu quelques facteurs extérieurs aidant à inscrire son nom dans l'histoire de son pays. le prestige du résistant et du déporté gagné ainsi que les mensonges de plus en plus sophistiqués ont rendu sa falsification presque indétectable et lui presque invulnérable.

A partir du moment où l'usurpation faisait consensus au sein des institutions faute de contradicteurs, et les mensonges disséminés dans des vérités irréfutables ayant revivifié la mémoire collective (laquelle avait été balayée par la transition démocratique après la mort de Franco), il n'était pas confortable d'oeuvrer à révéler l'imposture ou à la décortiquer. Les nombreuses répétitions obsessionnelles de l'auteur en témoignent, de même que le dialogue imaginaire entre l'auteur et Enric Marco...il met en évidence les défis et les contradictions morales de Javier Cercas qui, après tout, se sert de la fiction également dans ses oeuvres pourtant hantées par la quête de vérité.

Bien que je ne sois pas une admiratrice de l'esthétique littéraire de l'auteur, cette enquête a été passionnante à bien des égards. Javier Cercas ne s'est pas contenté de déconstruire la vie d'un homme, il a tendu un miroir dans lequel on voit le reflet de l'Espagne piégée par le culte de la mémoire et celui de l'auteur en proie à ses propres contradictions. «Marco n'était pas seulement fascinant en tant que tel, mais aussi par ce qu'il révélait des autres».
S'atteler à écrire sur un personnage réel est toujours une entreprise risquée car on risque de tomber dans la complaisance de mauvais goût. Mais Cercas est parvenu à éviter cet écueil en s'engageant dans le récit prudemment. Et lorsque l'exercice est réussi, on se rend compte combien la fiction est paradoxalement importante dans la transmission de l'Histoire...
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Me voilà repartie sur ma lancée de la rentrée littéraire avec ce roman très attendu (enfin pour ma part). Cette fois c'est donc vers l'Espagne que se porte mon attention aux côtés de Javier Cercas, auteur très célèbre chez nos voisins et qui bénéficie d'une belle réputation chez nous également. Après son remarqué et polémique roman Les Soldats de Salamine, monsieur Cercas continue de creuser le sombre passé franquiste de l'Espagne tout en abordant par la même occasion la thématique du roman vrai ou de la fiction réelle chère à son coeur. Et là c'est du lourd côté scénario, son livre reprenant un fait divers qui fait froid dans le dos : Enric Marco, figure de l'antifascisme, héros de l'anti franquisme, militant anarcho-syndicaliste, fier parangon de la liberté, déporté dans un camp de concentration nazie est en réalité un….. (roulements de tambours) IMPOSTEUR tout simplement.

Ce scandale, révélé dans les années 2010 par un historien bien décidé à lever le voile sur cette mystification, a choqué l'opinion publique espagnole. Car outre le préjudice moral, se pose le problème du marché lucratif de la mémoire historique (opposé à l'Histoire, plus rationnelle) à une époque où l'Espagne a éprouvé le besoin de créer et glorifier ses nouveaux héros de la liberté et d'exorciser ses démons. Javier Cercas a longtemps hésité avant de consacrer un roman à ce personnage haut en couleur et polémique, vieil homme de 95 ans, cet homme qu'est Enric Marco. Pathétique, roublard, affable, maniant le verbe et la rhétorique comme personne, drôle et attachant, mythomane narcissique pathologique, tout cela à la fois, Enric Marco a fondé sa vie sur un immense mensonge qui prend racine dès ses premiers jours (il va jusqu'à mentir sur sa date de naissance pour lui donner une portée symbolique) et ce jusqu'à ses vieilles années en tant que président de l'Amicale des anciens du camp de Mauthausen, porte-parole des déportés d'Espagne pendant le 2nde guerre mondiale.

L'imposteur est la tentative de Javier Cercas de comprendre ou du moins d'analyser cliniquement les raisons qui ont poussé Enric Marco à mentir, en mettant au jour un à un les mécanismes de cette vaste mystification. Aux mensonges du vieillard, Cercas oppose la vérité, ou comment de militant communiste déporté en Allemagne, Marco s'avère être en réalité un travailleur espagnol volontaire parti dans une usine allemande dans le cadre de l'effort de guerre.

Fruit des rencontres entre l'auteur et son sujet, mais aussi recueil des témoignages de ceux qui l'ont côtoyé et recherches minutieuses dans les archives, ce « roman vrai » décrypte cette supercherie narcissique en prenant le partie de donner la parole à Enric Marco qui malgré le scandale et les preuves accablantes justifiera son imposture : bien qu'il n'ait pas vécu l‘horreur des camps, ce qu'il raconte se base sur une réalité historique indéniable. Il n'a fait que transmettre aux jeunes générations un témoignage que les survivants n'étaient pas en mesure de fournir, endossant ce rôle nécessaire pour éviter l'oubli. Emmuré dans le déni, Enric Marco continue de choquer.

Javier Cercas l'a avoué : tout se liguait contre lui pour l'empêcher d'écrire ce livre. Entre ceux pour qui (reprenant ainsi l'opinion de Primo Levi) expliquer et comprendre c'est commencer à pardonner et justifier (chose impensable,) et ceux qui ont prédit à Javier Cercas un attachement malsain au vieux bonhomme qu'est Enric Marco (perdant alors toute objectivité), toutes ces raisons ont rendu laborieux le travail époustouflant de compréhension et de restitution de la vérité qu'a entamé l'auteur. Et comme à chaque fois, Javier Cercas fait preuve de beaucoup de recul en nous faisant partager ses propres craintes, en tant qu'écrivain.

Et mon bilan dans tout ça ? J'ai lu L'Imposteur comme une enquête passionnante et extrêmement instructive, un « roman vrai » qui m'a éprouvée physiquement et moralement car les thèmes de la récupération de l'histoire à des fins politiques sont lourds de sens et me touchent au plus haut point. Javier Cercas a une plume efficace qui évite tous les écueils et ne tombe jamais dans la facilité ni le pathos, nous épargnant de tout jugement hâtif à coups de phrases assassines. J'ai été sidérée, malmenée, choquée, bousculée, émue par le récit de cette incroyable imposture et la mise en évidence d'un malaise prégnant, celui d'une Espagne et de manière générale d'une Europe qui ne savent plus faire le distinguo entre Histoire et mémoire, frontière trouble et ô combien dangereuse. Certains ont reproché le style froid, quasi clinique de Cercas. Moi je trouve au contraire qu'il a parfaitement réussi l'exercice de coller à la vérité tout en maintenant un style littéraire fluide et accessible.

L'Imposteur est un livre intelligent, qui bouscule et fait sens. C'est un livre qui invite à approfondir le débat autour de la récupération de l'Histoire qui sont des thèmes tellement actuels. Je le conseille vivement.
Lien : http://www.livreetcompagnie...
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Javier Cercas fait plus que raconter la vie d'Enric Marco, l'imposteur qui s'est fait passer pour un survivant de l'Holocauste. Les entretiens de l'auteur avec l'homme sont aussi un moyen de parler de l'Histoire de l'Espagne et de lui-même, Javier Cercas, en tant que personne et romancier.
Enric Marco a traversé l'histoire avec résignation mais il éprouve, par la suite, l'envie de s'inventer un côté révolté, en mêlant habilement réalité et mensonge. L'auteur livre une belle analyse sur ce personnage complexe qui sublime sa vie, tel un Don Quichotte, afin de devenir un symbole de lutte pour l'Espagne. Cet imposteur qui a trompé tout un peuple avec son aisance et ses grands discours syndicalistes, ses souvenirs affabulés, ses prétendues rébellions…
Avec cet essai, Javier Cercas questionne le lecteur sur la réalité et le mensonge, le droit d'utiliser la mémoire collective pour en faire une histoire personnelle ou celui de se déclarer héros pour permettre à l'Espagne de se rappeler de son Histoire.
Quelques longueurs parfois mais un essai biographique qui permet de s'interroger sur Marco mais aussi l'auteur, L Histoire, la vérité... Bravo Monsieur Cercas !
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Connaissez-vous Enric Marco ?
Pour ma part, avant de lire ce livre, je n'en avais jamais entendu parler. Et pourtant, quel incroyable personnage que ce Catalan qui prétendit avoir été déporté dans un camp de concentration allemand, avoir été un ardent combattant anarcho-syndicaliste et un opposant au régime franquiste, qui devint président de l'Amicale de Mauthausen, donna des conférences dans des lycées, prononça des discours officiels, bref devint une icône espagnole de la résistance à toutes les formes d'oppression.
Jusqu'à ce coup de tonnerre sur la société espagnole, ce jour de juin 2005 où un historien révéla que tout cela n'était qu'une vaste imposture.

C'est l'histoire de cet homme que nous relate Cercas. Au-delà, son projet est de chercher à comprendre, sans justifier; interroger cet homme pour déceler les bribes de vérité sur lesquelles a pu se fonder la mystification; identifier les mécanismes psychiques à l'oeuvre chez cet homme; analyser les conditions historiques qui ont permis à tout un peuple d'ajouter foi à ce mensonge. Disséquer cette fiction : voilà ce à quoi s'emploie Cercas.
Dès lors, l'évidence s'impose à l'écrivain : puisque son personnage est une fiction en soi, il doit écrire «un roman sans fiction». Cercas s'interroge ouvertement sur le bien-fondé de son projet littéraire. Dès les premières lignes de son livre, il nous prend à témoin. Il a beaucoup hésité à l'écrire. A plusieurs reprises, il a renoncé. Il peut désormais se l'avouer, il avait peur. Peur de ce qu'il allait découvrir. Peur de se trouver face à lui-même et à ses propres failles. Car l'écrivain et l'imposteur sont comme les deux faces d'une même pièce : ils jouent avec le réel. Mais les règles ne sont pas les mêmes : l'un a le droit de mentir et l'autre non. Mais d'ailleurs, où se situe la vérité ? Sa recherche est-elle un but en soi ? C'est bien à une réflexion approfondie sur la littérature que se livre l'auteur. Comparant son personnage à Don Quichotte, Cercas explique comment la médiocrité d'une existence peut amener au besoin de réinventer sa vie. Cela peut passer par le travestissement de son passé... comme par l'écriture.

Le livre est entièrement construit sur cette double problématique du mensonge d'un homme qui recomposa constamment sa vie pour se convaincre que, contrairement à la grande majorité de ses compatriotes, il ne s'était pas accommodé d'une situation inacceptable pour simplement survivre, et du regard que pose l'écrivain sur la relation entre fiction et réalité, entre roman et invention.

C'est un livre d'une grande densité, qui brasse des sujets passionnants, qui s'interroge sur sa propre pertinence, qui met l'individu face à ses contradictions et propose une réflexion sur la manière dont la société espagnole accomplit son devoir de mémoire pour tourner le dos à la dictature et jeter les bases d'une démocratie.
Un livre brillant, exigeant, parfois déconcertant, et vraiment intéressant.

Lien : http://delphine-olympe.blogs..
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Vérité, mensonge, roman, histoire, mémoire, Don Quichotte, quelques-uns des mots que j'associe rapidement à L'imposteur; Trop rapidement, tant ce livre est foisonnant, multiple, inattendu et profond. de l'histoire de Marco qui s'est inventé une vie qu'il n'a pas vécu, au point d'en devenir un terrible imposteur, prétendant être un ancien déporté alors qu'il n'en fut rien, Cercas écrit un livre brillant, multiforme. L'enquête sur l'imposture, quelques années après que l'affaire eut éclaté, lui permet d'explorer les ressorts du mensonge, en lien avec la mémoire et l'histoire. C'est aussi le moyen d'interroger son propre travail de romancier. Les interventions fréquentes de Don Quichotte proposent un extraordinaire miroir à l'histoire de Marco. Déjà j'avais aimé le travail de Cercas pour Les soldats de Salamine. Je le relis aujourd'hui avec la même joie.
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« L'imposteur » entraîne le lecteur dans une galerie des glaces où se cachent vérité et mensonge, dissimulation et compromission. Javier Cercas dissèque l'histoire d'un homme, Enric Marco, qui s'est construit un passé en trompant tout le monde. En 2005, un historien dévoile la supercherie, l' affaire provoque consternation, réprobation… L'auteur avoue ne pas avoir voulu écrire le livre, mais il se décide à raconter l'histoire de cet homme. Enric Marco accepte de le rencontrer et de lui raconter son parcours. Vérité ou mensonge ? le doute s'installe dès la première page. Car Enric Marco ne regrette rien, il n'a rien fait de mal et a transmis des valeurs morales.
« L'imposteur » fonctionne comme un kaléidoscope. Les facettes de l'Histoire s'imbriquent avec l'histoire personnelle d'Enric Marco. Comment déceler la vérité ? Comment construire un livre de non fiction avec la fiction élaborée par un homme qualifié de « génial » par le fils de l'écrivain ? le public venu écouter le récit « héroïque » de l'antifasciste, du pseudo déporté à Flossenburg, les officiels bernés par le président de l'Amicale de Mauthausen ne sont-ils pas en attente du message annoncé ? L'Histoire de l'Espagne est sublimée par cette reconstruction .La démocratie s'installe après la mort de Franco en 1975 sur l'amnistie et l'oubli des crimes passés. La loi de la Mémoire Historique de 2006 consacre l'indispensable retour sur la période républicaine, les fosses communes sont recherchées, ouvertes… Il faut dépasser un oubli coupable ….Et le récit d'Enric Marco y répondait.
L'écrivain est confronté à ses propres pratiques, écrire n'est-ce pas tromper en inventant des fictions qui sont des réalités virtuelles ? Javier Cercas n'échappe pas à une autoanalyse . Il veut échapper au destin de Truman Capote qui s'est perdu en écrivant « De Sang -froid ». de même que Cervantès avait redonné à Don Quichotte son identité en le débarrassant de ses fantasmes, Javier Cercas veut éliminer « les peaux de l'oignon » qui constituent le personnage d'Enric Marco. Le travail a été épuisant. L'auteur livre ses raisonnements, ses doutes. Quelques passages montrent le besoin d'expliquer par le menu, de décortiquer le travail de vérité et de création littéraire. Ce souci alourdit parfois le déroulement de l'enquête.
Le livre intègre dans l'Histoire contemporaine de l'Espagne un parcours vécu et mensonger. « L'imposteur » est un ouvrage qui interroge efficacement nos rapports à « la vérité » individuelle et collective. Un livre à conseiller.


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Si l'Adversaire d'Emmanuel Carrère vous a durablement marqué, ne passez pas à côté de ce "roman sans fiction", et pourtant plein des mystifications d'Enric Marco. Cet homme s'est inventé un passé de résistant, de déporté, avant et sous le franquisme, jusqu'à devenir un héros national, admirable aux yeux de tous, et sans doute de lui-même, lyrique, émouvant, il sera de tous les discours, trémolos dans la voix, de toutes les commémorations, jusqu'à ce que la vérité, et le scandale, ne le rattrapent. Et Javier Cercas a décidé de se pencher sur cet homme, qui a réellement existé, car considère-t-il, on a tous en nous quelque chose d' Enric Marco. "Oui, surtout toi" ricane doucement son entourage. Et si le premier raccourci est un peu facile - Javier Cercas le nuance bien évidemment, mais finalement, n'a-t-il pas un peu raison, n'essayons nous pas, tous, chacun à notre niveau, d' adapter la réalité à notre vérité à nous, notre vision des choses à nous), le second est profondément injuste, et toute ma solidarité va à Javier Cercas : essayer de comprendre n'est pas justifier. Bien évidemment, pour comprendre, il faut aussi accepter de s'identifier. Et Javier Cercas le peut, il n'est pas une victime, et il va non pas le réhabiliter, mais tenter de le comprendre, et y parvenir, Javier n'est pas romancier pour rien ;-) !!. Comme Carrère, il se met en scène, pour la bonne cause, lui, ses atermoiements, ses face à face avec Marco, les deux à égalité dans leur condition d'humains, le romancier face à l'emberlificoteur de génie, car, qu'on le veuille ou non, Enric est quand même un sacré personnage ! Et il nous donne à lire un roman du niveau de l'Adversaire, supérieur même, si c'est possible, c'est dire si j'ai aimé !
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C'est l'histoire d'un homme qui se dit être un ancien combattant de la guerre d'Espagne, un ancien détenu du camp de concentration de Flosseburg. Il fait des conférences, donne des interviews, est à la tête d'associations . Il est célèbre. Mais, la gloire est éphémère.
Au delà de l'histoire, c'est essentiellement une réflexion de J.Cercas. Réflexion sur le mystère d'un homme : pourquoi a-t-il menti ? Quels motifs l'ont poussé à inventer cette imposture ? Ecrire sur lui, essayer de le comprendre, est-ce le réhabiliter ? Réflexion aussi sur le métier d'écrivain. Qu'est-ce la fiction ? Où commence-t-elle ? Où finit-elle ?
Alors, l'ouvrage de Cercas est-il un essai, une biographie, une fiction ? L'ouvrage édité dans la catégorie roman entretient le doute.
Mais, quelque soit le genre, le talent de Cercas transforme ce récit en un remarquable suspense.
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