L'aube s'anime sur une humeur incertaine : « Au bout du petit matin… /Va-t-en, lui disais-je, gueule de flic, gueule de vache […] Puis je me tournais vers des paradis pour lui et les siens perdus, plus calme qu'une femme qui ment […] » (p 7).
« Au bout du petit matin… », ces mots reviennent plus de vingt fois. Défilent Fort-de-France (cette ville plate/étalée/inerte, le morne oublié/accroupi/famélique), les souvenirs d'enfance, de misère et de soumission (le négrillon, la maison, la trêve alcoolique de Noël, la honte, la vie prostrée), jusqu'à la révolte et à la conquête de la parole : « Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-panthères, je serai un homme-juif /un homme-cafre /un homme hindou-de-Calcutta […] Je retrouverai le secret des grandes communications et des grandes combustions […] Qui ne me comprendrait pas ne comprendrait pas davantage le rugissement du tigre (p 20-21). Sa voix devient celle des esclaves, de la négritude, celle de Toussaint Louverture, le libérateur vaincu exilé dans la neige : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir » (p 22). Sa voix devient imprécation : « Parce que nous vous haïssons vous et votre raison, nous nous réclamons de la démence précoce de la folie flambante du cannibalisme tenace » (p 27).
Césaire a les accents du Rimbe de la Saison : « J'ai assassiné Dieu de ma paresse de mes paroles de mes chansons obscènes /J'ai porté des plumes de perroquet des dépouilles de chat musqué /J'ai lassé la patience des missionnaires /insulté les bienfaiteurs de l'humanité. /Défié Tyr. Défié Sidon. /Adoré le Zambèze. /L'étendue de ma perversité me confond ! » (p 29). Et l'imprécation devient provocation : « Mais pourquoi brousse impénétrable encore cacher le vif zéro de ma mendicité et par un souci de noblesse apprise ne pas entonner l'horrible bond de ma laideur pahouine ? /Voum rooh oh /Voum rooh oh » (p 30).
Enfin le poète trouve sa place et sa fonction : « Ma négritude n'est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour /ma négritude n'est pas une taie d'eau morte sur l'oeil mort de la terre /ma négritude n'est ni une tour ni une cathédrale /elle plonge dans la chair rouge du sol /elle plonge dans la chair ardente du ciel /elle troue l'accablement opaque de sa droite patience » (p 47). « Et nous sommes debout maintenant, mon pays et moi, les cheveux dans le vent, ma main petite maintenant dans son poing énorme et la force n'est pas en nous, mais au-dessus de nous, dans une voix qui vrille la nuit et l'audience comme la pénétrance d'une guêpe apocalyptique » (p 57). le poème s'achève après cette longue méditation de l'aube : « et le grand trou noir où je voulais me noyer l'autre lune /c'est là que je veux pêcher maintenant la langue maléfique de la nuit en son immobile verrition ! » (p 65).