Gilbert Cesbron n'est pas un auteur « confortable » : si vous lisez un de ses livres, il y a de fortes chances pour que vous soyez touché ou ému, souvent bouleversé, parfois même bousculés et carrément révoltés. C'est l'apanage de ces auteurs qui nous montrent notre société – et nous-mêmes – sous un jour réel, celui-là même que nous essayons d'occulter.
«
Il est plus tard que tu ne penses » (1958) ne déroge pas à la règle, c'est un roman dont la puissance d'émotion est particulièrement forte, et qui ne laisse personne insensible. le sujet, il est vrai, est un creuset d'émotions sans fins, il s'agit de l'euthanasie, de sa légitimité (ou pas), et au-delà de l'attitude à prendre devant la vie et devant la mort :
Jean Cormier a administré à sa femme Jeanne, atteinte d'un cancer en phase terminale, une dose léthale de morphine. Pour ce geste, il est jugé aux assises. Est-il coupable ou innocent ?
Le sujet était d'actualité dans les années 50, il l'est encore aujourd'hui. Faut-il invoquer ce problème de date, d'époque ? Oui et non. Beaucoup de choses ont changé aujourd'hui : la médecine a changé, les personnes atteintes d'un cancer ont plus de chances de s'en sortir qu'autrefois, et la médecine progresse de jour en jour. Les mentalités ont changé : l'appréhension et la compréhension de la maladie, grâce à un accompagnement plus personnalisé, a permis d'border différemment la maladie. Enfin la loi a changé, en déculpabilisant (un peu, car il reste beaucoup à faire) ce qui est un crime d'amour, d'intention bienveillante, et non pas un crime passionnel, d'intention malveillante. Ce qui n'a pas changé le côté » humain de la chose » : la souffrance et la douleur, la vie et la mort. Nous avons tous vécu ces moments-là, soit indirectement, chez nos parents, nos amis ou nos proches, soit directement dans notre propre chair. Il ne faut pas nous en raconter : seul le malade connaît l'intensité de la douleur, autour de lui, on la devine, on la pressent, mais on ne peut pas le soulager de ce fardeau, le malade est seul à assumer dans son corps (et aussi dans son esprit) sa maladie. Nous, à côté, nous apportons notre amour, notre compassion, mais… ça ne suffit pas. Comme dit
Sabine Sicaud :
Une feuille a son mal qu'ignore l'autre feuille.
Et le mal de l'oiseau, l'autre oiseau n'en sait rien.
Gilbert Cesbron s'est fait un devoir d'évoquer dans ses romans des faits de société ou des faits humains, qui le préoccupent (et qui devraient nous préoccuper aussi) la misère, le racisme, l'intolérance, l'enfance malheureuse, la vieillesse, le handicap, et la foi face à tous ces problèmes.
Alors oui, on dit maintenant, c'est un écrivain d'une autre époque, il n'a plus sa place aujourd'hui, il n'est plus « d'actualité », son style est daté, en plus il milite pour un catholicisme ringard… Ceux qui parlent ainsi, je les invite à relire
Gilbert Cesbron : les faits de société qu'il pourfendait dans les années 50 et 60, sont toujours là : misère, racisme et intolérance, plus que jamais présents, constituent même avec une certaine hypocrisie, le grain à moudre de nos politiques, quant aux faits humains, tant qu'il y aura la maladie et la mort, et tant qu'il y aura des riches et des pauvres, et tant qu'il y aura des bons et des méchants, il y aura de l'injustice et du malheur. Son style a vieilli, certes, mais quand vous lisez certains textes contemporains… bref, vous m'avez compris. Enfin, l'engagement catholique de Cesbron est beaucoup plus proche d'un abbé Pierre ou d'un
Saint Vincent de Paul que des « cardinaux en costumes » que chante Francis Cabrel.
Il faut lire, ou relire,
Gilbert Cesbron : son message reste le même, à soixante-dix ans de distance, et il est toujours d'actualité. Il reste à dire une dernière chose, une des particularités de
Gilbert Cesbron, qui le démarque de beaucoup de ses confrères – y compris catholiques – c'est qu'il ressort de ses écrits (en dehors de tout dogme ou de toute idéologie) une authenticité complète, une droiture de pensée, une honnêteté pour tout dire, qui se traduit notamment par une empathie profonde avec ses personnages (et avec le lecteur, du même coup), une compassion dont la sincérité ne peut être mise en doute, une émotion profonde, de nature à éveiller les consciences.