J'ai lu -
Tremens - à l'occasion d'une Masse Critique spéciale dont je remercie Babelio et Déciduales.
Le titre, à moins qu'il fût allégorique ou le fruit d'une association littéraire, historique ou que sais-je, annonçait la couleur.
Une couleur qui humait les essences de quelque vendange ou de quelque alambic.
Erreur... il fallait y adjoindre toute une panoplie de drogues douces et dures, allant de la marijuana, au cannabis, en passant par le LSD, le crack, la MDMA, les acides, les buvards, la crystal meth, la cocaïne, l'héroïne.. mais en occultant cependant la mescaline, l'éther, la colle et quelques solvants... mais on ne peut pas faire la fine bouge lorsque l'on a affaire à un jeune homme qui a décidé d'être à lui seul une distillerie et un labo tournant à plein rendement 24/7...
Je me lançai donc dans ce qui s'annonçait être une immersion dans ces paradis artificiels dont les accros que sont les protagonistes addicts, vivent de continuelles descentes aux enfers durant les temps de pause entre deux de leurs trips.
Premières pages... surprise, frustration et quasi-rejet pour la plume de l'auteur qui utilise une langue orale façon djeun... avec par moments un style 2.0 ( C pour c'est...) l'orthographe et le désordre syntaxique complétant le parfait costard chébran.
J'insistai, car l'expérience m'a souvent montré qu'il faut continuer à creuser avant de quelquefois tomber sur un gisement pétrolifère, aurifère ou sur quelque site archéologique, sur quelque ancêtre néanderthalien croyant avoir trouvé là la cache le mettant à l'abri d'une descendance importune.
Et bien m'en a pris !
Je me suis fait au fil des pages à cette écriture émanant d'un cerveau à bout de tout, ne vivant avec peine que pour vivre et crachant sur les pages son mépris d'un monde à son image.
Gustav 29 ans, cadre dans une boîte de pub, marié à Margaret, se réveille dans ... d'abord il ignore où il est.. ce qui s'avère être une chambre d'hôpital.
Il a fait un coma après une absorption massive de drogue(s) et d'alcool.
Après examens, son cerveau ... criblé de petits caillots ... se révèle être celui d'un vieillard.
Il ne pourra espérer survivre qu'à la condition non négociable, non transgressable, d'une totale et définitive abstinence.
Gustav est dans un trou noir.
S'il sait qu'il est un alcoolique au dernier stade de la soif et un drogué au stade ultime de la défonce, il n'a plus aucun souvenir des dernières heures qui ont précédé son coma.
Il décide de remonter le temps, Margaret lui ayant annoncé par ailleurs qu'il va être père.
C'est donc une histoire à rebours que nous conte
Hugo Cétive, en partant de l'enfance pour arriver aux instants qui ont précédé son coma.
À vous de découvrir, si vous le souhaitez la suite et la fin.
J'ai lu beaucoup de bouquins sur la drogue et l'alcoolisme... dans les années 70 celui de Christiane Felscherinow - Moi,
Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée -, celui de
Barjavel -
Les chemins de Katmandou -, de
Claude Olivenstein -
Il n'y a pas de drogués heureux -, de
Frederick Exley -
le dernier stade de la soif -, d'Héloïse Guay de Bellissen - le roman de Boddah -, de
Ron Butlin -
le son de ma voix -, sans oublier notre cher Hank (
Bukowski ) et d'innombrables films parmi lesquels m'avait marqué celui réalisé par Blake Edwards - le jour du vin et des roses - interprété par le tandem époustouflant Jack Lemmon et Lee Remick...
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Tremens - ne dépareille pas parmi ces standards, ces (presque ? ) incontournables.
Il offre une vision XXIème siècle tout à fait adaptée et réaliste
J'ai lu quelques-uns des reproches faits à
Hugo Cétive.
Le delirium
tremens qui est dû à un sevrage et pas à une overdose en est un qui revient souvent.
Je ne crois pas qu'il faille associer ce titre à la raison qui provoque le coma de Gustav mais considérer ce mot d'un point de vue générique ; une société, un monde sevré de sa substantifique moelle, de sa raison d'être, un monde virtuel, de geek et de robots, un monde déshumanisé et déshumanisant...
Le mot robot est quasi obsessionnel dans la bouche et la pensée du jeune homme.
Préfigure-t-il ce robot dont les seules révoltes vouées à l'échec sont l'alccol et la drogue ?
Quant à l'écriture, j'ai dit précédemment ce qu'il me semble en être.
L'histoire tient la route, la structure narrative chronologisée, la dérive d'un homme, la mort de la famille et celle annoncée d'un monde... ça se tient.
Un passage qui vous fera comprendre ce qu'il est possible de tirer de la lecture de ce livre.
"Twitter, c'est des gens très nerveux. Maintenant que la masse dispose d'un espace de libre expression en tout anonymat, ils oublient toute pudeur, ils gueulent des opinions, ils déterrent la hache de paix, ils rigolent pas. Ce sont des plus ou moins Police de la Pensée, accusateurs, enragés, des vautours d'appartement qui rôdent avec la bave aux lèvres, toujours susceptibles , jamais à court de vacheries, habités par une logique de gestapo, irresponsables - les patriotes sont très motivés, y en a pour tous les goûts, les nostalgiques de la grandeur nationale, les amoureux du terroir, les pourfendeurs des bobo-gaucho-coco, les experts des flux migratoires, les islamophobes hystériques, les spécialistes des fake-news ; ils ont une mission, c'est leur raison de vivre, ils doivent convertir, leur obsession la plus totale, embrigader, ils sont assoiffés de reconnaissance, ils bloquent leurs trois neurones et demi sur des sujets sociétaux bien polémiques (islam, migrants, aides sociales...) puis ils lâchent les clébards, ils fulminent derrière leurs ordis, ils connaissent plus aucune politesse, à l'assaut ! l'actualité d'abord, se mettre en jambes, combien de syriens et de sénégalais ont accosté en Grèce ou en Italie, des photos ? super, "non mais regardez-moi ces rats", ils perdent connaissance, leurs tweets sont des dégueulis et des mugissements, ils salopent des conversations ; et y a les gauchistes humanistes progressistes égalitaristes anti-racistes, ils sont aussi fêlés et mauvais, ils sont choqués par tout, ils s'étranglent derrière leurs claviers, ils appellent à la révolution, ils exigent du respect et de l'amour mais bon. Mais bon."