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« Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Qu'est-ce que c'est que ces hurlements
Bandit ! Voyou ! Voyou ! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant. »
Ce poème intitulé « La chasse à l'enfant », on le doit à Jacques Prévert. Il s'est inspiré du tragique épisode des enfants révoltés de Belle-Ile en mer qui prirent la fuite le 27 aout 1934.
Tout l'art de Sorj Chalandon, c'est d'avoir su mêler à la véritable histoire de ces enfants bagnards celle de ce fugitif, Jules Bonneau, dit "La Teigne". Récit bouleversant que celui de cet enfant maltraité dont la famille ne veut plus s'occuper après le vol de trois oeufs !
« Comme je ne pouvais pas être abandonné à la rue sous peine de vagabondage, la Justice a décidé de m'en voyer en maison de redressement jusqu'à ma majorité
Ils appelaient ça une colonie pénitentiaire. »
Le récit à la première personne nous le rend plus poignant. On souffre pour ce garçon qui se durcit à force d'endurer coups, brimades et humiliations. Car, dans cette colonie pour mineurs qui ressemble fort à une prison, c'est la loi du plus fort qui prévaut. Et les surveillants, brutaux et souvent alcooliques, ne sont pas les derniers à frapper pour assouvir leurs frustrations. La Teigne, qui fait honneur à son surnom, a la rage chevillée au coeur. Pourtant, quelques parcelles d'humanité et de pitié sont encore là qui le pousseront à protéger le plus faible, Camille Loiseau.
L'auteur nous fait tout partager du quotidien de Jules, de ses pensées, jusqu'à ses cauchemars.
Après la mutinerie, les colons en fuite dans l'ile seront chassés comme un vulgaire gibier par les gendarmes mais aussi les habitants, excités par l'appât du gain puisqu'on paye 20 francs pour chaque enfant rattrapé.
L'histoire de la Teigne, le seul à passer à travers les mailles du filet, on la doit à l'imagination de l'auteur qui a su se glisser dans la peau du fugitif et lui faire vivre de nombreuses péripéties en rapport avec l'époque. Nous sommes à la veille de la seconde guerre mondiale et on découvre les prémices du fascisme avec les Croix de Feu et la guerre civile espagnole. C'est le drame de Guernica que relatent les journaux tandis que sur l'île, on côtoie la loyauté et le courage des pêcheurs bretons.
Un jour, des journalistes vont enquêter sur ces colonies pénitentiaires et rendre public les maltraitances sur enfant.
« Alexis Danan, un journaliste parisien, traitait lui aussi la colonie de bagne. Il avait enquêté. Nous n'étions pas seulement des détenus mais aussi des esclaves. «

Au-delà du roman social et historique, c'est l'histoire d'une lutte contre toutes les injustices et les violences faites aux plus faibles. C'est aussi le récit d'une résilience, celle d'un enfant meurtri qui doit beaucoup à son auteur, lui-même victime, enfant, de maltraitance. Et c'est pour cela, sans doute, que cette histoire sonne si juste.
Roman puissant à la construction tendue et à l'écriture subtile, « l'enragé » m'a profondément marquée et ne va pas me quitter de sitôt.


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« Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Qu'est-ce que c'est que ces hurlements
Bandit ! Voyou ! Voyou ! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant
Il avait dit "J'en ai assez de la maison de redressement"
Et les gardiens, à coup de clefs, lui avaient brisé les dents
Et puis, ils l'avaient laissé étendu sur le ciment »



C'est la révolte des enfants de la maison d'éducation correctionnelle de Belle-Île, dans le Morbihan, ayant eu lieu le 27 août 1934, qui a inspiré à Jacques Prévert son poème "La chasse à l'enfant", alors en vacances sur l'île au moment des faits, et qui l'ont profondément marqué. Ce jour-là, une centaine d'enfants s'est révoltée pour protester contre les mauvais traitements qu'ils subissaient. 55 d'entre eux (ou 56 selon les sources) se sont évadés. L'administration de la colonie pénitentiaire a fait un appel à l'aide de la population pour récupérer les fuyards, coincés sur l'île. Certains s'en sont donnés à coeur joie, d'autant qu'une récompense de 20 francs était attribuée à qui livrerait l'un des "voyous".

C'est de cet événement que Sorj Chalandon nous parle dans son roman, à travers le personnage de Jules Bonneau, dit « La Teigne », l'un des détenus de ce bagne qui n'est pas censé en être un. Ce sont d'abord les conditions de vie dans la colonie qu'il nous conte, avant de revenir sur les raisons de sa détention, puis la mutinerie, l'évasion, la "chasse à l'enfant" et tout ce qui s'en suit après.

À savoir que la moitié des "colons" était des orphelins qui n'ont pas pu être placés ailleurs et que l'autre moitié n'avait commis que de petits larcins, tel que Jules par exemple, condamné à seulement deux ans mais qui y est resté après avoir purgé sa peine parce que sa famille ne voulait pas de lui. Aucun d'entre eux ne méritait de subir tous ces châtiments, toute cette violence à leur encontre de la part des employés de la colonie (si tant est que quiconque puisse mériter de tels traitements...).

Et toute cette injustice, toute cette maltraitance, toutes ces brimades et tous ces coups ont eu de quoi faire enrager les jeunes détenus. À être éduqués par la violence, on ne répond plus que par la violence. La tension monte, à petit feu, et ce qui doit se produire devient inévitable...

« La Teigne » a la rage, il a peur, il souffre, mais pour survivre, il se doit de garder tout ça pour lui, dans un petit coin au plus profond de lui-même, pourtant prêt à surgir aux moments opportuns, ou quand la coupe se fait pleine... Toutes ces scènes qu'il imaginait, rendant justice et vengeance, et qui l'aidaient à tenir bon, deviennent d'un coup réalité...

Je ne connaissais pas encore Sorj Chalandon et il est évident que je reviendrai vers d'autres de ses livres. Avec sa plume sèche et spontanée, aux phrases courtes, il m'a cisaillé les tripes, le coeur et l'âme. Je ressors de cette lecture avec toute la rage qu'il a su me transmettre à travers celle de Jules. Tout ce qu'on souhaite, c'est le prendre par la main et l'aider à se cacher. Mais loin de cette île-prison, on se sent impuissant en même temps que la peur pour lui se fait de plus en plus tenace. On souffle enfin un peu dans la deuxième moitié du livre, mais tout en sachant que la rage de Jules n'en a pas encore fini avec lui.

L'auteur a su tout bien dépeindre et rendre l'ensemble très réaliste. On ressent clairement que le sujet et les événements évoqués lui tiennent à coeur. le personnage de Jules incarne tout ce que les enfants détenus ont pu vivre dans la réalité. C'est dur et poignant, oppressant et tendu, révoltant sans aucun doute. Mais Jules fait tout de même de jolies rencontres, et grâce à elles, il peut comprendre ce que signifient les mots bonté et bienveillance. C'est dans ces moments-là que l'auteur épargne enfin son lecteur, en lui permettant de se reposer un peu afin de mieux entrapercevoir les rayons de lumière qui arrivent à traverser ici et là toute cette sombritude. Après une première partie éprouvante, et malgré la rage qui persiste jusqu'au bout, on assiste à la renaissance d'un personnage pour qui l'on ressent toutes sortes d'émotions.

Ce roman est sans l'ombre d'un doute affreux, parce que révoltant et douloureux, quelque peu angoissant par moments, mais aussi poignant et de plus en plus chatoyant. On ne peut en ressortir indemne. La tension et la rage s'immiscent en vous, petit à petit. Ce n'est pas insoutenable parce qu'on ne s'en rend pas compte immédiatement, mais ça laisse des marques, telles de petites plaies dont la douleur ne se réveille qu'une fois qu'on les a remarquées.

J'ai beaucoup aimé et je ne suis pas près d'oublier un tel livre.



« Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant
Pour chasser l'enfant, pas besoin de permis
Tous les braves gens s'y sont mis
Qui est-ce qui nage dans la nuit ?
Quels sont ces éclairs, ces bruits ?
C'est un enfant qui s'enfuit
On tire sur lui à coups de fusil »
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« Tous sont tête basse, le nez dans leur écuelle à chien. Ils bouffent, ils lapent, ils saucent leur pâtée sans un bruit. Interdit à table, le bruit. »

C'est ainsi que commence ce roman. Et contrairement à ce que pourraient laisser croire ces mots, la scène ne se déroule pas dans un élevage canin. On se trouve à Belle Île la très mal nommée ici, dans un bagne pour enfants. Ah, pardon, il ne faut plus dire bagne, mais colonie pénitentiaire, et les gardiens ne sont plus des matons, des cogneurs, des hurleurs, des salauds, mais des moniteurs.

240 pages de bonheur d'écriture et presque autant d'horreur devant les atrocités racontées. C'était en France, il y a à peine un siècle.

l'enragé, celui qui raconte, c'est la Teigne. Je vous le dis tout bas qu'il n'entende pas, car ce nom, comme il le dit lui-même :
« Personne n'a le droit de m'appeler comme ça. Jamais. C'est mon nom de guerre, gagné à force de dents brisées. Moi seul le prononce. Je le revendique et les autres le craignent. Aucun détenu, aucun surveillant, pas même Colmont le directeur ne peut l'employer. « La Teigne », c'est mon matricule et ma rage. Mon champ d'honneur. »

Comme la plupart, il n'a pas vraiment fait grand chose de mal. Ils sont là pour beaucoup, parce qu'ils n'avaient plus de famille, parce qu'ils avaient faim, parce qu'ils avaient tenté de survivre par de moyens pas toujours légaux. Leurs conditions de vie sont désastreuses, inhumaines, leurs gardiens sans pitié.

Un jour où un gamin de trop est frappé par les surveillants les colons se mutinent et 56 s'évadent. 55 seront repris, grâce à l'aide des habitants de l'ile et des touristes. Pensez, 20 Francs par enfant, c'est une somme. Heureusement, la bonté existe aussi sur cette ile, et l'enragé, la Teigne en profitera. Et cette deuxième partie, moins noire, malgré encore la présence de quelques ordures, permet de respirer.

Et je finirai ce retour volontairement court par ces mots : vive la Sainte-Sophie. Et je ne parle pas du jour de ma fête.

Plus court que souvent, car je veux partager avec vous ce poème écrit par Jacques Prévert, présent dans l'ile lors de cette révolte :

« Chasse à l'enfant

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Au-dessus de l'île on voit des oiseaux
Tout autour de l'île il y a de l'eau

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Qu'est-ce que c'est que ces hurlements

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant

Il avait dit
J'en ai assez de la maison de redressement
Et les gardiens à coups de clefs lui avaient brisé les dents
Et puis ils l'avaient laissé étendu sur le ciment

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Maintenant il s'est sauvé
Et comme une bête traquée
Il galope dans la nuit
Et tous galopent après lui
Les gendarmes les touristes les rentiers les artistes

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant
Pour chasser l'enfant pas besoin de permis
Tous les braves gens s'y sont mis
Qu'est-ce qui nage dans la nuit
Quels sont ces éclairs ces bruits
C'est un enfant qui s'enfuit
On tire sur lui à coups de fusil

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Tous ces messieurs sur le rivage
Sont bredouilles et verts de rage

Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !

Rejoindras-tu le continent rejoindras-tu le continent

Au-dessus de l'île on voit des oiseaux
Tout autour de l'île il y a de l'eau. »

Merci à NetGalley et aux éditions Grasset pour ce partage #LEnragé #NetGalleyFrance
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ENORME COUP DE COEUR

Une fois de plus Sorj Chalandon m'a tiré des larmes, m'as prise par les tripes, m'a donné envie de vomir parfois. de son écriture qui coule toute seule il m'a emmené me révolter sur ces bagnes d'enfants qui existaient il y a encore moins de 100 ans.

Les colonies, les bagnes d'enfants, ont vu se succéder des milliers d'enfants, des caïds, des petites frappes, mais aussi des enfants innocents, abandonnés ou orphelins. Là pas d'éducation, ou très sommaire, mais des conditions de vie éreintantes, où les enfants pouvaient travailler jusqu'à 15 heures par jour. Ils étaient traités comme de véritables prisonniers, recevaient des coups, étaient privés de nourriture, étaient aussi violés parfois. Les gamins arrivaient dans ces maisons dès l'âge de 5 ans...

Ces "Colonies" furent démantelées à la fin de la guerre en 1945, mais le gouvernement français avait déjà pris des mesures suite à un événement tragique survenu en 1937 : la révolte de la colonie de Belle-île en mer. Les enfants ont réussi à s'échapper, mais dans l'île fut organisée une véritable chasse à l'homme pour retrouver ces malheureux enfants.

C'est l'histoire de cette révolte que nous raconte Sorj Chalandon. Il ne nous la raconte pas de l'extérieur mais bien au travers des yeux d'un de ces miséreux : Jules Bonneau, alias la Teigne.

Jules ce n'est pas un tueur, pas un violeur. Il a été abandonné par sa maman à 5 ans, qui a préféré un accordéoniste, son père et son grand-père s'en sont débarrassés dès que l'occasion s'est présentée. Il est devenu la Teigne pour survivre dans le bagne. Vous allez souffrir avec lui, dans sa chair, par ses yeux qui voient l'inadmissible.

Sur un fond de France où se mêle montée du fascisme et communisme, où le manque d'empathie rejoint l'inhumanité, où les droits des femmes sont bafoués, où les droits des enfants n'existent pas, revivez avec Jules un de ces pans de l'histoire noire de la France.

Jules Bonneau, mort pour la France en 1942, patrie qui n'a jamais voulu de lui.
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Terriblement poignant et émouvant !

Même lorsque l'on connaît l'existence de ce bagne d'enfants de Belle-Île, déjà croisé dans d'autres romans, on ne peut qu'éprouver une immense compassion pour ces gosses, que la malchance et la pauvreté aura livrés aux autorités et littéralement déportés dans cette île pour leur plus grand malheur. C'était dans les années 30, il y a presque cent ans, même avec le recul et en considérant l'ignorance de fondamentaux éducatifs, c'est un manque flagrant d'humanité qui motivait les traitements abjects infligés aux enfants. La meilleure preuve en est la compassion éprouvée par quelques rares personnages, qui refusent de rejoindre la vindicte populaire ou de se laisser prendre par l'appât du gain.

C'est donc l'histoire de Jules Bonneau, homonyme malheureux, aussi dénommé la Teigne, qui se retrouve à 16 ans prisonnier, s'endurcissant peu à peu, seul, sans espoir si ce n'est celui d'une possible évasion . Ce qu'il adviendra de Jules m'a arraché des larmes…

Ce roman de Sorj Challendon se démarque des précédents : pas de pays en guerre, pas de souvenirs personnels douloureux, mais un nécessaire devoir de mémoire pour ce lieu funeste qui a détruit tant d'enfants.

Le sujet a été bien documenté, j'en veux pour preuve les détails géographiques faciles à identifier quand on connaît bien la région bretonne (et pas seulement l'île). J'ai même fait un petit pèlerinage à la chapelle Saint Vendal !


Pas besoin de le préciser : j'ai adoré ce roman qui m'a littéralement bouleversée.

416 pages Grasset 16 août 2023
#LEnragé #NetGalleyFrance

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Belle île en mer ,1934.Des enfants sont prisonniers , même si le mot est tabou. Plus que prisonniers,ils sont esclaves .Des vrais.Exploités, battus, humiliés.
Ils sont là, estampillés pupilles de la nation,en attendant leur majorité.Jules est l' un d'eux, arrivé sept ans plus tôt de Mayenne,orphelin de mère, abandonné par son père , livré par ses grands parents. Mais un jour, l'opportunité de s 'échapper se présente à lui.

Belle histoire, très bien livrée par Sorj Chalandon dont la plume magnifie les rouges et dégomme la bourgeoisie. C' est peut être le seul reproche à ce roman, ce côté binaire, les gentils, les méchants.
Parce que sinon, le récit de cette triste page de notre histoire est remarquable, tant par son côté émotionnel, sociétal ...
Les personnages sont superbement 'mis en scène ', constants dans leurs actes et leurs états d âme. Ils sont tiraillés, la prudence et leur propre intérêt sont souvent en conflit avec leurs idées, leur sens de l'honneur et leur vérité,souvent centrée sur l' humain.
L 'humain est clairement au coeur de ce roman, l'humain qui justifie tout, les interdits et même les meurtres.
On ajoute une plongée dans l' histoire de cette fin des années trente en filigrane de ce roman ou encore l'immersion dans la vie des pêcheurs et l'on obtient un roman qui mérite incontestablement toutes les louanges qui lui ont été dressées.
Enfin comment ne pas voir dans la montée des extrémistes de ces années là une sérieuse piqûre de rappel quant à notre époque...
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J'enrage !
Vous voulez ressentir les coups de badine, la morsure des crocs de vos codétenus dans votre cou, le sang chaud et rouge couler le long de votre avant-bras, le vent siffler, l'eau de mer glacée, la peur qui tord les boyaux ?
Vous faire soulever par le col, ressentir la brulure sur votre autre joue comme après la première claque donnée par Enfant de salaud ?

J'enrage !
Je pensais me jeter dans ce livre sans retenue, mais le démarrage a été bien plus long que prévu, le moteur diesel de ma coquille de noix a mis un temps fou à atteindre sa vitesse de croisière.
Sans que je puisse expliquer tout à fait pourquoi, il me manquait le petit truc en plus pour être enthousiaste, j'avais l'impression d'être au cinéma, de voir un très bon film, mais ce n'était pas moi l'actrice principale, je n'étais que simple spectatrice.
Pourtant ce récit avait tout pour être un coup de coeur, cette colonie pénitentiaire sur Belle-Île, dans laquelle l'État empilait les gosses dont personne ne voulait ; orphelins, voleurs, vagabonds ...

Et puis, coup de théâtre !
À peu près arrivée à la moitié de ma lecture, un déclic, les personnages ont enfin pris vie, Jules Bonneau le colon qui s'évade du bagne, son acolyte de galère le petit Camille Loiseau tout juste tombé du nid, Sophie et Ronan Kadarn qui vont lui apporter leur aide, se sont enfin incarnés et assis à mon chevet. J'ai terminé le roman tard dans la nuit, ravie, enfin rattrapée par le plaisir de lecture.

Le lecteur retrouve en première partie de ce livre l'ambiance du Gosse de Véronique Olmi lors de la description du bagne de Belle-Île. D'ailleurs, l'auteur mentionne la petite Roquette, la prison pour enfants en plein coeur de Paris -la rue de la Roquette ça vous rappelle quelque chose ?- et Mettray, un autre bagne pour enfants.
Cependant, ce n'est pas l'essentiel du livre, puisque Sorj Chalandon nous emmène dans les traces de la folle cavale de Jules Bonneau, Jules étant l'un des 55 enfants qui a réussi à s'évader le 27 aout 1934 lors d'une folle mutinerie.
Cette révolte sonnera le début de la prise de conscience de l'opinion publique de ce qui se passe réellement dans ces bagnes, leur condamnation et la fermeture des plus répressifs. Jacques Prévert alertera avec son poème La chasse à l'enfant, mais il faudra attendre la fin de la seconde guerre mondiale pour que l'éducation soit enfin reconnue comme leur mission première (et non la répression).

Un livre édifiant sur ce bagne de Belle-Île, comme un hurlement qui résonne tel un coup de poing pour ceux qui n'auront jamais lu sur le sujet. Un exutoire pour Sorj Chalandon qui y convoque et ressasse la haine brute et animale qui l'a habité lors de son adolescence contre son père et qu'il projette avec rage dans la tête de Jules Bonneau.
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Sorj Chalandon , c'est Sorj Chalandon et , en le voyant revenir vers ses lecteurs avec un titre , "l'enragé ", un titre bref , se suffisant à lui même pour donner le ton , on s'attend à trouver force , violence , rage de vivre , soif de justice , vengeance .Bref , il y a de " l'insurgé "de Vallés dans ce titre .
Deux grands temps dans ce roman , la description de la vie scandaleuse de jeunes et innocents colons dans ces lieux dignes du bagne .Rien ne nous est épargné dans ce monde clos , secret ,dont on se demande si les murs sont ceux , infranchissables d'une prison ou une protection par rapport à la vindicte d' une population propre à se fabriquer en toutes circonstances des boucs émissaires contre toutes les misères du monde .
Tout l'art de Chalandon est de nous mêler à tous ces jeunes infortunés dont le principal tort et de ne pas avoir pu " choisir " leur famille .Ca secoue ,ça tangue , ça remue , ça révolte et lorsque Jules , dit " La Teigne ", s'évade , c'est nous mêmes qui nous évadons , prêts à tout , même au pire , pour ne plus retourner dans l'enfer .
La seconde partie verra Jules tenter de survivre en milieu hostile , grâce à des mains tendues , face à des hypocrisies , des chantages , des trahisons ...Ce deuxième acte sera le reflet de la lutte intérieure perpétuelle " entre " Jules et La Teigne , un combat sans fin et sans concession .Des personnages magnifiques ou odieux qui nous happent , nous émeuvent ou nous donnent la nausée .
Le récit est remarquablement écrit , fluide , scotchant ,les dialogues sont courts , économie de mots chez les taiseux , durs au mal comme les granits de la région .
Ce roman ne se lit pas , il se dévore tant l'auteur vous tient et vous mène au gré de sa plume du début à la fin .
Sujet difficile bien conduit , je me suis demandé comment l'auteur allait s'en tirer au fur et à mesure que les dernières pages approchaient ... "Bon Dieu , mais c'est bien sûr " , j'avais oublié que l'auteur , c'était monsieur Chalandon . Et bien , le dénouement , je vous le laisse découvrir , il est " sublime " au point qu'on peut le dire et le repêter : " On ne va jamais chez Chalandon par hasard ." ( Oui , bon , c'était juste pour un sourire , il n'y en a pas beaucoup dans ce magnifique ouvrage ) .
Allez , le week end approche .Demain , librairie ." l'enragé " et dimanche ...direction Belle île .Non , pas celle des touristes , celle de Jules Bonneau , vous savez , " la bande à B ....".Ah , moins d'enthousiasme ? Comme je vous comprends , bien entendu , vous savez ce qui s'est passé là-bas , maintenant ...
Amitiés et à bientôt .
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Pour un maigre larcin, Jules Bonneau, à 13 ans, intègre, en mai 1927, la Colonie pénitentiaire maritime et agricole de Haute-Boulogne, à Belle-Île-en-Mer. Une situation qui accommode ses grands-parents qui ont peu faire de lui et de son père qui n'a jamais réussi à l'élever depuis que sa mère l'a abandonné. le voilà enfermé sur cette île, au moins jusqu'à sa majorité, trimant tout le jour à la corderie, quand d'autres s'échinent aux ateliers de timonerie ou de voilerie ou dans les champs, devant supporter les coups, les humiliations et les punitions des gaffes, les maigres rations alimentaires, les règlements de compte entre détenus. Si, parmi ces détenus, certains étaient de vrais délinquants, beaucoup se retrouvaient ici seulement pour de petits vols ou parce qu'ils étaient orphelins, vagabonds ou abandonnés de l'Assistance Publique. Et si certains ont tenté de s'enfuir, ils ont bien vite été rattrapés. Jules, lui, en cet été 1934, ne perd pas espoir de quitter cette île...

C'est en 1880 que fut construit la maison d'éducation surveillée de Belle-Île-en-Mer, au large de Quiberon. Un mot pompeux et plutôt inapproprié pour désigner tout simplement cette Colonie pénitentiaire, ce bagne pour enfants. Des enfants soumis à de durs labeurs, quel que soit le temps, et à de mauvais traitements. Seule distraction : la fanfare qui parade dans les rues de Palais. le 27 août 1934, un colon commence à manger son gruyère avant de boire sa soupe. Sacrilège pour les gaffes ! À partir de là, c'est la cohue, l'affolement, les cris, les ruades... 56 enfants s'échappent. Toute l'île se met à leur recherche. À partir de ce tragique fait divers, Sorj Chalandon imagine que l'un d'entre eux, Jules Bonneau, surnommé La Teigne, échappe aux griffes des îliens et des gaffes. L'auteur se glisse alors dans la peau de ce personnage et relate ses conditions de (sur)vie au sein du centre, ses amitiés ou inimitiés, son fol espoir de pouvoir s'enfuir de l'île, cette nuit du mois d'août et ses années passées sur l'île. À travers ce récit, l'auteur nous plonge au coeur de cette vie insulaire où se côtoient aussi bien des âmes charitables ou courageuses que mesquines ou détestables. En arrière-plan, l'on devine la montée du fascisme et la résistance bretonne. de son personnage, plus vrai que nature, l'on ressent combien l'auteur y a mis de ses tripes, de sa rage et de ses blessures. Un personnage que l'on ne peut oublier, de même que Louise ou Ronan et cet invité-surprise, Jacques Prévert, qui écrira un poème sur ces enfants du bagne.
Un roman fort, à la fois sombre et lumineux, empreint de rédemption et de rage...

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Jules Bonneau est un enragé, de ceux qui mordent pour se défendre. Alors quand il se retrouve à la colonie pénitentiaire de Belle-Île en mer pour un simple vol, Jules décide qu'il aura le dessus. Et même si le prix à payer est exorbitant, il n'en a que faire. D'ailleurs n'est-ce pas le lot de tous les pensionnaires de la colonie ? Coups, brimades, avilissement et pour les plus faibles, viols et soumission. Un enfer tel que les pensionnaires se révoltent en 1934. Toute l'île, touristes compris, se met alors à la chasse à l'enfant — car ce sont bien d'enfants dont il s'agit. La récompense est de 20 francs, auxquels s'ajoute la satisfaction du devoir accompli pour certains. Évidemment à ce prix-là les rebelles n'ont aucune chance et ils sont tous repris pour être sauvagement réprimandés par une administration vengeresse. Pourtant l'un d'entre eux va leur échapper...

Sans aucun doute, Sorj Chalandon a eu raison de s'inspirer de cette histoire peu connue et peu glorieuse de la colonie pénitentiaire de Belle-Île. D'autant qu'en tant qu'ancien enfant brimé par un père violent et mythomane il est proche de Bonneau le rebelle et de tous ces enfants « innocents » victimes de la violence et de l'indifférence des adultes. Un sujet qui ne peut qu'émouvoir autant que révolter, et Chalandon le fait très bien, même si parfois j'ai trouvé à son récit un manque d'authenticité. Comme s'il peinait à trouver le ton juste pour raconter le calvaire de ces enfants, qui pour la plupart n'étaient que des voleurs d'oeufs ou pire étaient des enfants trop encombrants pour leur famille qui s'en était purement et simplement débarrassé.
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