« Tous sont tête basse, le nez dans leur écuelle à chien. Ils bouffent, ils lapent, ils saucent leur pâtée sans un bruit. Interdit à table, le bruit. »
C'est ainsi que commence ce roman. Et contrairement à ce que pourraient laisser croire ces mots, la scène ne se déroule pas dans un élevage canin. On se trouve à Belle Île la très mal nommée ici, dans un bagne pour enfants. Ah, pardon, il ne faut plus dire bagne, mais colonie pénitentiaire, et les gardiens ne sont plus des matons, des cogneurs, des hurleurs, des salauds, mais des moniteurs.
240 pages de bonheur d'écriture et presque autant d'horreur devant les atrocités racontées. C'était en France, il y a à peine un siècle.
l'enragé, celui qui raconte, c'est la Teigne. Je vous le dis tout bas qu'il n'entende pas, car ce nom, comme il le dit lui-même :
« Personne n'a le droit de m'appeler comme ça. Jamais. C'est mon nom de guerre, gagné à force de dents brisées. Moi seul le prononce. Je le revendique et les autres le craignent. Aucun détenu, aucun surveillant, pas même Colmont le directeur ne peut l'employer. « La Teigne », c'est mon matricule et ma rage. Mon champ d'honneur. »
Comme la plupart, il n'a pas vraiment fait grand chose de mal. Ils sont là pour beaucoup, parce qu'ils n'avaient plus de famille, parce qu'ils avaient faim, parce qu'ils avaient tenté de survivre par de moyens pas toujours légaux. Leurs conditions de vie sont désastreuses, inhumaines, leurs gardiens sans pitié.
Un jour où un gamin de trop est frappé par les surveillants les colons se mutinent et 56 s'évadent. 55 seront repris, grâce à l'aide des habitants de l'ile et des touristes. Pensez, 20 Francs par enfant, c'est une somme. Heureusement, la bonté existe aussi sur cette ile, et l'enragé, la Teigne en profitera. Et cette deuxième partie, moins noire, malgré encore la présence de quelques ordures, permet de respirer.
Et je finirai ce retour volontairement court par ces mots : vive la Sainte-Sophie. Et je ne parle pas du jour de ma fête.
Plus court que souvent, car je veux partager avec vous ce poème écrit par
Jacques Prévert, présent dans l'ile lors de cette révolte :
« Chasse à l'enfant
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Au-dessus de l'île on voit des oiseaux
Tout autour de l'île il y a de l'eau
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Qu'est-ce que c'est que ces hurlements
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant
Il avait dit
J'en ai assez de la maison de redressement
Et les gardiens à coups de clefs lui avaient brisé les dents
Et puis ils l'avaient laissé étendu sur le ciment
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Maintenant il s'est sauvé
Et comme une bête traquée
Il galope dans la nuit
Et tous galopent après lui
Les gendarmes les touristes les rentiers les artistes
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C'est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l'enfant
Pour chasser l'enfant pas besoin de permis
Tous les braves gens s'y sont mis
Qu'est-ce qui nage dans la nuit
Quels sont ces éclairs ces bruits
C'est un enfant qui s'enfuit
On tire sur lui à coups de fusil
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Tous ces messieurs sur le rivage
Sont bredouilles et verts de rage
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Rejoindras-tu le continent rejoindras-tu le continent
Au-dessus de l'île on voit des oiseaux
Tout autour de l'île il y a de l'eau. »
Merci à NetGalley et aux éditions Grasset pour ce partage #LEnragé #NetGalleyFrance