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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
°°° Rentrée littéraire 2023 # 47 °°°

Colonie pénitentiaire de Belle-Ile-en-Mer. le 27 août 1934, 56 enfants s'évadent après une révolte dans le réfectoire. La chasse aux fugitifs est lancée, 20 francs pour chaque enfant ramené, les uns après les autres. Sauf un, jamais retrouvé. C'est de ce fait divers que s'est emparé un Sorj Chalandon plus empathique et investi que jamais, imaginant le destin du rescapé sous les traits du jeune Jules Bonneau.

C'est un livre que j'ai refermé les yeux embués, émue, chamboulée par le destin de ce Jules.

Parce que ce roman est un cri juste en faveur de l'enfance meurtrie.
Parce que Sorj Chalandon est un pur conteur qui sait embarquer le lecteur, un conteur sincère dont on sent battre le pouls, dont on sent vibrer les indignations. La rage de ces enfants martyrs de Belle-Ile-en-Mer, c'est la sienne. Les coups qu'ils reçoivent, on sent que cela a été la sienne, que c'est encore la sienne. On sent qu'il est un des leurs.
Parce que l'irruption de Monsieur Prévert - avec son poème La Chasse aux enfants - dans le réel du récit, c'était juste une idée sublime.

Là, comme ça, direct après lecture, j'aurais mis cinq étoiles. Mais, après plusieurs semaines à laisser reposer, les coutures romanesques ainsi que les facilités du récit me sont apparues assez grossières ou du moins trop outrées à la limite du racoleur, quelles que soient les bonnes intentions de l'auteur.

La première partie présente très précisément la vie des enfants colons. Qui ils sont. Pourquoi ils sont là. Ce qu'on leur reproche. La maltraitance au quotidien. Comment ils ont fini par se révolter. C'est marquant, fort, mais sans doute trop long avec un petit côté catalogue de sévices et douleurs : je ne pense pas qu'il y avait besoin d'autant s'étendre pour qu'on soit acquis à Jules et ses camarades et lié à leur quête de liberté. La partie « évasion », à mon sens la plus réussie, est plus courte, rythmée, saisissante, haletante.

C'est la partie « planque » qui m'a au final le moins convaincue. Les personnages secondaires sont vraiment très caricaturaux ( le communiste, le basque, le bourru pêcheur, le fasciste, l'infirmière ). Surtout Sorj Chalandon a mis trop de thèmes politico-sociétaux liés au contexte des années 1930, ce qui brouille le vrai sujet - en tout cas pour moi - et ses enjeux, celui que j'aurais aimé voir approfondi : l'évolution psychologique des rapports entre Jules et ceux qui l'aident, ou comment Jules ( «Chacal pelé, sans père, sans mère, sans rien de ce qui fait votre humanité. J'essaie d'adoucir ma gueule de bagnard, je ponce les aspérités, je lime mes dents de hyène, mais le charognard trépigne en moi » ) peut apprendre à accepter de recevoir la beauté, la générosité et la bonté, comment se relever d'une enfance meurtrie sans sombrer dans la violence.

Sur ce même thème, j'ai nettement préféré le traitement de Colson Whitehead, dans son époustouflant Nickel Boys, plus subtil mais tout aussi impactant que l'enragé de Chalandon. Par contre, l'ultime lettre, à la fois inattendue et logique, absolument bouleversante, conclut merveilleusement le roman, donnant un sens à tout ce qui a précédé, même ce que j'ai moins aimé. Cette lettre, c'était vraiment la meilleure façon de conclure ce roman écrit avec les tripes et le coeur.
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Belle-Île-en-Mer, ses plages, sa côte sauvage, ses eaux turquoises, son... bagne pour enfants.
Eh oui, il fut un temps où cette perle du tourisme abritait une prison (dès 1848), devenue colonie pénitentiaire pour enfants à partir de 1880 jusqu'à sa fermeture en 1977.
Les « colons » qui y étaient enfermés avaient entre 12 et 21 ans. Si parmi eux certains étaient de la graine de délinquants, d'autres n'avaient commis d'autre délit que celui d'être orphelin ou d'avoir été abandonné à l'Assistance Publique. Aucun, en tout état de cause, n'avait mérité les sévices infligés par des matons vicelards ou par des codétenus plus âgés. Coups, attouchements, viols, punitions, privations, faim, froid, la maltraitance est généralisée et banalisée, et s'ajoute à un programme de « rééducation » par le travail et la formation. Les gamins sont en effet affectés à l'apprentissage d'un métier agricole dans une ferme des environs, ou d'un métier lié à la marine, dans l'enceinte même de la colonie. Tout un contingent de main-d'oeuvre gratuite à exploiter.
Jules Bonneau, dit La Teigne, est à Belle-Île depuis ses 13 ans. Pas le plus innocent, mais loin d'être un criminel. Mais l'enfermement et les injustices quotidiennes ont fait de lui un fauve violent.
Le 27 août 1934, il fait le mur avec 55 autres enfants. La traque est aussitôt lancée, même les touristes s'y mettent. 20 francs or par gamin attrapé, avouez que ça vaut la peine, non ? A ce train-là, il ne faut que quelques heures pour reprendre les fugitifs, qui paieront leur rébellion cher et vilain. Seul Jules échappe aux recherches, mais comment s'échapper d'une île ?

Le sort terrible de ces gamins vous crève le coeur. Malgré la noirceur, une certaine solidarité subsiste entre eux, mais elle est constamment mise à rude épreuve. Comment préserver son humanité quand on vous traite comme une bête sauvage ?
La deuxième partie est moins sombre, contant l'histoire d'une rédemption et d'une dignité retrouvée en s'appuyant sur la bienveillance, l'humanité, la fraternité de quelques justes. Mais qu'il est difficile de faire à nouveau confiance quand on est depuis la naissance victime de l'injustice des hommes, et qu'on vous a convaincu que vous êtes un moins que rien...
« l'enragé » est donc l'histoire de la révolte de 1934 (qui a inspiré à Prévert son poème « La chasse à l'enfant »), mais s'inscrit aussi dans le contexte historique plus large de la guerre d'Espagne et de la montée du fascisme en Europe. Une époque violente qui annonce pire encore, avec la deuxième guerre mondiale qui se profile... Sont également abordés l'âpre vie des marins-pêcheurs et les risques pris par les faiseuses d'anges. le pire et le meilleur de l'humanité se côtoient dans ce roman dur mais sensible, aux personnages principaux attachants, et qui rend hommage aux enfants victimes de la colonie pénitentiaire de Belle-Île. 

#LEnragé #NetGalleyFrance
Lien : https://voyagesaufildespages..
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J'enrage !
Vous voulez ressentir les coups de badine, la morsure des crocs de vos codétenus dans votre cou, le sang chaud et rouge couler le long de votre avant-bras, le vent siffler, l'eau de mer glacée, la peur qui tord les boyaux ?
Vous faire soulever par le col, ressentir la brulure sur votre autre joue comme après la première claque donnée par Enfant de salaud ?

J'enrage !
Je pensais me jeter dans ce livre sans retenue, mais le démarrage a été bien plus long que prévu, le moteur diesel de ma coquille de noix a mis un temps fou à atteindre sa vitesse de croisière.
Sans que je puisse expliquer tout à fait pourquoi, il me manquait le petit truc en plus pour être enthousiaste, j'avais l'impression d'être au cinéma, de voir un très bon film, mais ce n'était pas moi l'actrice principale, je n'étais que simple spectatrice.
Pourtant ce récit avait tout pour être un coup de coeur, cette colonie pénitentiaire sur Belle-Île, dans laquelle l'État empilait les gosses dont personne ne voulait ; orphelins, voleurs, vagabonds ...

Et puis, coup de théâtre !
À peu près arrivée à la moitié de ma lecture, un déclic, les personnages ont enfin pris vie, Jules Bonneau le colon qui s'évade du bagne, son acolyte de galère le petit Camille Loiseau tout juste tombé du nid, Sophie et Ronan Kadarn qui vont lui apporter leur aide, se sont enfin incarnés et assis à mon chevet. J'ai terminé le roman tard dans la nuit, ravie, enfin rattrapée par le plaisir de lecture.

Le lecteur retrouve en première partie de ce livre l'ambiance du Gosse de Véronique Olmi lors de la description du bagne de Belle-Île. D'ailleurs, l'auteur mentionne la petite Roquette, la prison pour enfants en plein coeur de Paris -la rue de la Roquette ça vous rappelle quelque chose ?- et Mettray, un autre bagne pour enfants.
Cependant, ce n'est pas l'essentiel du livre, puisque Sorj Chalandon nous emmène dans les traces de la folle cavale de Jules Bonneau, Jules étant l'un des 55 enfants qui a réussi à s'évader le 27 aout 1934 lors d'une folle mutinerie.
Cette révolte sonnera le début de la prise de conscience de l'opinion publique de ce qui se passe réellement dans ces bagnes, leur condamnation et la fermeture des plus répressifs. Jacques Prévert alertera avec son poème La chasse à l'enfant, mais il faudra attendre la fin de la seconde guerre mondiale pour que l'éducation soit enfin reconnue comme leur mission première (et non la répression).

Un livre édifiant sur ce bagne de Belle-Île, comme un hurlement qui résonne tel un coup de poing pour ceux qui n'auront jamais lu sur le sujet. Un exutoire pour Sorj Chalandon qui y convoque et ressasse la haine brute et animale qui l'a habité lors de son adolescence contre son père et qu'il projette avec rage dans la tête de Jules Bonneau.
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Jules Bonneau est un enragé, de ceux qui mordent pour se défendre. Alors quand il se retrouve à la colonie pénitentiaire de Belle-Île en mer pour un simple vol, Jules décide qu'il aura le dessus. Et même si le prix à payer est exorbitant, il n'en a que faire. D'ailleurs n'est-ce pas le lot de tous les pensionnaires de la colonie ? Coups, brimades, avilissement et pour les plus faibles, viols et soumission. Un enfer tel que les pensionnaires se révoltent en 1934. Toute l'île, touristes compris, se met alors à la chasse à l'enfant — car ce sont bien d'enfants dont il s'agit. La récompense est de 20 francs, auxquels s'ajoute la satisfaction du devoir accompli pour certains. Évidemment à ce prix-là les rebelles n'ont aucune chance et ils sont tous repris pour être sauvagement réprimandés par une administration vengeresse. Pourtant l'un d'entre eux va leur échapper...

Sans aucun doute, Sorj Chalandon a eu raison de s'inspirer de cette histoire peu connue et peu glorieuse de la colonie pénitentiaire de Belle-Île. D'autant qu'en tant qu'ancien enfant brimé par un père violent et mythomane il est proche de Bonneau le rebelle et de tous ces enfants « innocents » victimes de la violence et de l'indifférence des adultes. Un sujet qui ne peut qu'émouvoir autant que révolter, et Chalandon le fait très bien, même si parfois j'ai trouvé à son récit un manque d'authenticité. Comme s'il peinait à trouver le ton juste pour raconter le calvaire de ces enfants, qui pour la plupart n'étaient que des voleurs d'oeufs ou pire étaient des enfants trop encombrants pour leur famille qui s'en était purement et simplement débarrassé.
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Un magnifique livre de Sorj Chalandon, l'enragé, un roman tendre et effrayant, d'une humanité débordante, dénonçant les humiliations et les souffrances que l'homme fait endurer à ses semblables, en l'occurrence ici à des adolescents .
L'aventure et la vie quotidienne de Jules-et les autres- ses peurs, ses rêves, ses colères, sa force et sa faiblesse, dans la colonie pénitentiaire pour jeunes mineurs de Belle Île en Mer, en France en 1932.
Un roman vif et tempétueux animé par une belle écriture franche et juste, où le courage et la révolte s'unissent contre le mal et l'injustice. Universel non?
Un très beau-très grand-livre qui nous surprend à chaque page jusqu'à la dernière … qui nous surprend encore!!!
A lire vraiment !
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Sorj CHALANDON prend la plume pour nous parler d'un pan de l'Histoire de France peu reluisant : les bagnes pour enfants. Cela m'a ramené à une autre de mes lectures, L'appel de la guerre, ou l'autrice (Manon PIGNOT )parle des enfants soldats de la première guerre mondiale mais aussi de la recrudescence de la délinquance juvénile après la guerre. Une des « solutions» à cette délinquance a été l'ouverture de lieux où les enfants étaient placés. Qu'ils soient orphelins, voleurs de pains affamés, petites frappes tentant de survivre, pas de disctinction, ce sont les mômes à redresser pour en faire de bons français.

Sorj CHALANDON pousse les portes de la colonie pénitentiaire pour mineurs de Belle-Île-en-Mer et nous laisse entrevoir l'horreur et l'inhumanité de ce qu'on subit ces enfants. Des enfants qui n'en ont que le nom. Jetés en pâture à des matons le plus souvent cruels, la plupart n'ont jamais connu que la loi du talion et celle du plus fort. Recevant des coups, de la souffrance, de l'humiliation, sans jamais connaître d'amour de respect ou même de reconnaissance de leur statut d'être humain. Traités comme des esclaves ils sont contraints d'abandonner toute humanité pour tenter de survivre. Leur vrai crime est leur existence même. On n'a pas besoin de gosses des rues, de pauvres.

Quand enfin la révolte gronde un petit groupe s'échappe mais un seul restera libre, les autres seront rattrapés par les braves gens. Cette société bien comme il faut, fière d'avoir livrer des gosses contre 20 francs. Bouffie d'orgueil d'avoir accompli son devoir en renvoyant des mioches en enfer. Mais un seul leur a échappé : Jules Bonneau dit La Teigne. Saisissant les rares mains tendues, Jules est tiraillé entre sa nature profonde et celle créée par des années de bagne qui a révélé la part la plus sombre de lui même : La Teigne, un être taillé pour la survie, rempli de haine et dénué d'empathie. L'auteur a construit finement ce personnage. Un gosse meurtri qui voudrait vivre comme monsieur tou le monde, qui essaie, qui lutte constamment contre lui même.

Si j'ai aimé cette dénonciation de cette partie de l'Histoire de France que certains seraient tentés de cacher sous le tapis, je suis tout de même restée un peu sur le quai. J'ai eu du mal à avoir de l'empathie pour Jules qui ne m'a pas touchée autant que je m'y serais attendue. J'ai eu l'impression d'un monde très manichéen ou les gentils et les méchants le sont à l'excès. Je m'étais attendue à plus de nuance, de subtilité de la part de cet auteur dont j'ai tant entendu parlé. Il en va de même pour les communistes et les fachistes qui ont tout de l'image d'épinal. Les personnages sont tous d'une seule pièce, rendant leurs réactions prévisibles et parfois peu crédibles.

Toutefois j'ai passé un bon moment de lecture avec ce livre qui se lit tout seul. La plume est particulièrement fluide et il y a aussi des moments de grâce. Mais je reste sur cette impression d'avoir commandé un expresso avec un carré de chocolat noir et d'avoir eu un allongé avec du chocolat au lait.
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Certains romans de Sorj Chalandon nous restent à jamais en mémoire, « Le jour d'avant », sur la catastrophe de Liévin, « Le quatrième mur », sur une pièce de théâtre en 1982 au Liban avec des acteurs de confessions différentes, interrompue par la guerre.
Celui-ci s'ajoutera à la liste.

Depuis le 19è siècle, des « colonies pénitentiaires » d'enfants existent en France, sorte de maisons de redressement pour des jeunes délinquants mais aussi des orphelins.
Cellle de Belle-Ile est l'un des plus connues et la mutinerie de 1934 est restée dans les annales.
Cet « enragé », c'est Jules Bonneau, un jeune garçon qui n'a pas eu de modèle parental ni d'éducation et qui, en intégrant ce « bagne », va encore plus se révolter contre la société.
Car l'éducation et le redressement promis dans ces maisons sont en réalité des privations, des humiliations, de la violence et de la maltraitance.
Le premier tiers du récit est difficilement soutenable, et il faudra attendre la mutinerie pour que quelques lueurs d'espoir apparaissent, notamment dans la personne d'un « Jean Valjean »...

Pour écrire ce livre, Chalandon s'est servi d'un abondante documentation, sur ces colonies, mais aussi sur le contexte historique.
En Espagne c'est la guerre civile, en France le Front populaire, et chez ces marins bretons, il y a de nombreux révoltés !
Mais cette rage qui anime son héros est aussi la sienne.
Victime de violences et d'humiliations dans son enfance (il l'a raconté dans d'autres livres), il fait sienne cette rage face à la vie.
Aujourd'hui journaliste et écrivain, il se sert de sa plume pour combattre les injustices et les violences et ce livre est un récit historique mais aussi personnel sur l'enfance meurtrie et sur la violence du monde.
Et si je devais mettre un bémol sur ce livre (4 étoiles au lieu de 5), ce serait peut-être un trop-plein de documentation et de thématiques au détriment du personnage principal.

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Écrivain de talent, Sorj Chalandon avait été, dans les années quatre-vingt, correspondant de guerre en Ulster, au Liban et en Syrie. Il avait assisté à des scènes épouvantables. Elles lui avaient inspiré des romans brillants, récompensés par des prix littéraires. Il y montrait comment la peur, la douleur et la haine se nourrissent d'elles-mêmes en surenchères de violences. Des violences que chacun, tour à tour, pour son compte ou pour celui des siens, considère comme de justes vengeances.

Dans son dernier roman, l'enragé, les violences sont confinées, moins sanguinaires, mais la rancoeur, la haine, l'enchaînement des coups et des représailles sont de même nature. de quoi enrager !

Les événements de l'enragé se sont déroulés en 1934 à Belle-Ile-en-Mer, une terre isolée chantée par Laurent Voulzy. Un site jadis jugé idéal pour installer une prison, car comme l'avait mentionné une autrice italienne pour éclairer un titre de livre, il n'y a pas de mur Plus haut que la mer. Au fil des années, la vieille prison a été rebaptisée : Colonie pénitentiaire, établissement d'éducation surveillée, institut de réinsertion d'adolescents en difficulté. On sait ce que recouvrent ces dénominations politiquement correctes : une maison de corrections, où j'écris le mot au pluriel, car les enfants reclus, les « colons », y ont été maltraités, battus, violés au gré des envies de défoulement des surveillants. Des traitements qui achevaient de transformer en animaux sauvages, agressifs et… enragés, des adolescents sans repères, enfermés pour des vétilles ou coupables de simple vagabondage.

C'est le cas de Jules Bonneau, surnommé la teigne et fier de l'être. Ce jeune homme imaginé par l'auteur est enfermé depuis six ans. Il raconte son évasion et celle d'une cinquantaine de ses camarades, un événement réel, survenu lors d'une rébellion générale consécutive à une brutalité de trop. L'Administration fera appel à la population de l'île pour une méprisable « chasse aux enfants ». Ils seront quasiment tous repris. Qu'en sera-t-il pour Jules ?

Tout le long de sa narration, Jules s'exprime comme il parle. Des phrases courtes, un rythme haché, une retenue de respiration, comme lorsqu'on guette sans cesse autour de soi d'où viendra la prochaine menace. Un ton monocorde, parce qu'il faut dissimuler, aux autres et à soi-même, les bonnes et les mauvaises nouvelles, de même qu'il faut masquer le début de sympathie et de confiance que l'on peut éprouver pour quelqu'un.

Celles et ceux qui veulent du bien à Jules peineront à l'apprivoiser. La confiance ? Une inconnue pour lui. Il serre les poings dès qu'on l'approche. Il lui arrive même, lorsqu'il se sait en situation d'infériorité, d'enrager intérieurement et d'imaginer les violences dont il rêve de frapper son interlocuteur.

Pendant une bonne partie du livre, je me suis senti extérieur aux événements racontés. Peut-être trouvais-je trop lisible l'intention de l'auteur, sa volonté de m'émouvoir, de provoquer mon indignation ! Cela m'a incité à résister, à rester sur ma réserve. Plus tard, après l'évasion, tout au long de la cavale de Jules, j'ai laissé se développer mon empathie pour le personnage, j'ai craint ses réactions irréfléchies à l'égard de personnes bienveillantes, j'ai craint qu'il ne se fasse manoeuvrer par d'autres, malintentionnées.

Belle performance d'écriture que de faire parler ce jeune homme à un tel rythme pendant quatre cents pages ! Sorj Chalandon prétend qu'il n'y serait pas parvenu s'il n'avait pas été battu, enfant. Mais moi qui ai lu Profession du père, je n'y avais pas trouvé l'enfant particulièrement enragé…

Le thème de l'ouvrage n'est pas neuf. Il m'a ramené à des romans de la fin du XIXe siècle, évoquant l'enfance malheureuse ou maltraitée, Sans famille, Poil-de-carotte, Oliver Twist, que l'on faisait lire autrefois dans les bonnes familles, pour que les enfants prennent conscience de leur sort heureux et qu'ils mangent sagement leur soupe, par égard pour ceux qui n'ont rien dans leur assiette.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Nul doute que si La Souche avait connu l'histoire de la colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-mer, il aurait proposé à Voulzy de commencer la chanson directement à Marie-Galante.
Autres temps, autres moeurs, d'accord… Mais, tout de même, un bien triste endroit ! Comme il en existait des centaines d'autres en France hexagonale et dans les colonies.
Triste coïncidence que de commencer ce roman sur la justice, sur l'injustice plutôt, tandis que nous pleurons Badinter.
Chalandon, en 400 pages, livre un puissant réquisitoire contre l'ignominieuse machine judiciaire d'alors. le peuple était rassuré, le bagne comme la guillotine étaient majoritairement approuvés… Echo des débats de l'automne 1981, la voix de Chalandon, dit également non ! Pour les besoins de cette noble cause, il se fait « Teigne », ce gamin incarcéré qui tente de s'arracher de sa captivité. Il est ce narrateur entraîné dans cette aventure tragique et haletante. Jules Bonneau, alias la Teigne, va croiser des matons ignobles, des ersatz de Kapo, une infirmière au grand coeur, un noble marin pêcheur, des bigotes, des communistes, un anarchiste basque, des Croix-de-Feu… Un vrai inventaire à la Prévert. Ça tombe bien, il est là, lui aussi, véridique témoin des événements de 1934 lorsque les « sauvageons » se révoltèrent. Jules Bonneau est inventé mais son destin ressemble à celui de ces milliers d'enfants broyés. Tout à la fois Kubrick, mode Spartacus, Hugo et donc Prévert, Chalandon déploie avec efficacité, tout son talent de romancier, lui qui se plait à se définir journaliste. « l'enragé » est de ces livres que l'on dévore, emporté par cette fougue romanesque.
Un bon Chalandon, c'est un excellent roman… Un bon Chalandon donc mais pas un excellent Chalandon… Emporté par sa légitime indignation, Chalandon nous livre des personnages « entiers », des bons, des brutes ou des truands. Pas d'ambivalences… Pas de doutes… Pas de surprises… L'habituel maître du contre-pied nous gratifie d'une attaque bien frontale qui, certes, se termine dans l'en-but. le résultat doit être applaudi mais l'exigeant adepte du « French Flair » regrettera que l'efficacité redoutable de l'ailier gauche ne se double pas du panache habituel. Je postillonne dans la soupe, c'est vrai… J'ai quelques remords tant je me sens en phase avec cette rage. Pourtant, après avoir entendu tous ces faux-culs encenser l'ancien garde des sceaux jadis raillé par les mêmes, il était impensable que je n'assume pas pleinement cette infinitésimale déception.
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Grande écriture pour une immense noirceur.

l'enragé n'aura pas eu l'effet escompté sur moi. La noirceur m'a pris à la gorge, m'a empêché de lâcher prise. A moins que je ne l'ai trop assimilé à la barbarie actuelle, celle qui maintenant fait partie de notre quotidien occidental. Comparativement l'enragé de Chalandon a de réels motifs de l'être, pour se protéger, pour survivre. Alors que ceux qui crient au loup actuellement ne savent même pas pourquoi ils se comportent ainsi. J'aimerais pouvoir, comme tant d'autres lecteurs, supporter les scènes de maltraitantes des enfants, de la bêtise des hommes si ce n'est leur brutale animalité. Ici, on est servi, l'émotion est continue.
Par contre j'ai été admirative de cette remarquable écriture et de sa référence à l'histoire, celle avec un grand H.
Sorj Chalandon avait déjà toute mon admiration pour ses deux précédentes oeuvres avec une mention particulière pour « Enfant de salaud » paru en 2021. Ici encore l'écriture est absolue, pure, impeccable, bref, irréprochable. La structure est travaillée sans que le lecteur ne se sente engoncé dans des lourdeurs. C'est sans conteste une belle et grande écriture.

Jules Bonneau, surnommé par lui-même, La Teigne, traverse une jeunesse et une adolescence particulièrement rude à une époque qui l'était tout autant ; nous sommes dans une colonie pénitentiaire en Haute-Boulogne dans les années trente. Juste avant on y avait détenu des communards ou rééduqués voyous et brigands; et après il devenait le Centre d'éducation surveillée de Belle-Île-en-Mer. Les pupilles y sont dressés à coup de triques et de punitions en tout genre. Les lois des gardiens côtoient les lois des gamins. Toutes ont leurs raisons d'être, mais aucunes ne se rejoignent. Une seule chose en commun : d'un côté les faible, de l'autre les forts. Mais qui va vraiment gagner, qui va tirer son épingle du jeu ?

La Teigne est un personnage que Chalandon a sculpté à coup de canif, blessure après blessure, rêve exutoire après rêve dérivatif. « Je rêvais de tuer pour ne pas avoir à le faire ».
L'ambiance est donné dès les premières lignes et se maintiendra jusqu'à l'élément clé du livre. Jamais de répit « Je n'ai pas le droit aux sentiments. Les sentiments c'est un océan, tu t'y noies. Pour survivre ici il faut être en granit….S'évader les yeux ouverts et marcher victorieux dans le sang des autres. Toujours préférer le loup à l'agneau ».

L'Assistance, « notre mère publique » est elle aussi un personnage à part entière dans ce roman. Et pour cause, les gamins y passent le plus clair de leur temps à se faire justice alors même que les gardiens veulent en faire une armée de vaincus. Alors, tous ces gamins, pouvaient-ils ne pas essayer de fuir ? Suspectaient-ils seulement le quart de ce qui pouvait leur arriver ? Ne disons nous pas fréquemment que notre vie mérite d'être pleinement vécue ? Que le frisson fait partie intégrante de l'homme ?
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