Coup de coeur !
C'est dans la forêt pluviale de la Colombie Britannique (Ouest canadien) que se déroule la très belle histoire racontée par
Marie Charrel ; les existences si différentes des deux personnages principaux se rejoignent : leur point commun, un parent conteur d'histoires, pour Hannah c'est Kuma, son père rêveur et poête d'origine japonaise, pour Jack, sa belle-mère Ellen, autochtone Tsimshian.
Hannah et Jack sont tous les deux les enfants de la forêt, des solitaires, nourris de contes et légendes japonaises ou amérindiennes que l'autrice retranscrit ici avec beaucoup de talent.
Hannah, fille de deuxième génération de japonais installés au Canada et Jack, creekwalker (littéralement marcheur en ruisseaux) , compteur de saumons pour le gouvernement, se rencontrent d'une façon fracassante : ce sont les premières pages, magnifiques, extraordinaires du livre. Toute la beauté de l'écriture de l'autrice et sa puissance évocatrice se révèlent alors :
" Elle lève les yeux au ciel et le nuage d'albâtre s'abat sur elle telle une tempête de neige. Un tourbillon de nacre, le baiser du colosse d'ivoire : elle comprend, dans la violence de l'instant, qu'il s'agit d'un animal. le corps massif de la bête emporte le sien et ils plongent tous les deux dans la rivière. Les griffes pénètrent sa peau, déchirent les chairs de sa joue jusqu'à l'épaule, mais elle ne ressent rien - du moins pas encore. À l'instant de la chute, la course du temps ralentit. Elle observe le manteau d'azur s'étirant au-dessus d'elle. Les cumulus cotonneux vallonnant l'horizon. Elle pense aux mots que son père murmurait autrefois, au coeur de ces nuits où les étoiles tavelaient la toile terrestre...
Jack et hannah vont parcourir la région, sillonner les vallons, traverser les plaines ; petit à petit il lui apprendra à oublier le temps qui passe, à se concentrer sur sa respiration " jusqu'à ce que les battements de son coeur se calent sur le rythme de la terre. Alors ses perceptions n'auront plus de limites."
L'autrice avoue que son idée première est de parler forêt, connection à la nature, liens avec le vivant...
En plus de ce récit consacré à Jack et à Hannah, des chapitres s'intercalent qui remontent à des temps plus anciens, ceux qui ont vu des jeunes japonaises envoyer leurs photos à des hommes qui avaient adressé les leurs depuis le Canada où ils avaient émigré en cherchant du travail ; choisis sur des images mensongères où ils apparaissaient plus jeunes, plus beaux, plus riches, ces maris canado-japonais furent le plus souvent de grandes déceptions, et les jeunes femmes durent se débrouiller pour accepter cette existence ou la changer.
Dans les années 40, au moment de la seconde guerre mondiale et de l'attaque de Pearl Harbour, les japonais déjà haïs, méprisés et maltraités furent déplacés et envoyés au loin... Une partie historique qui éclaire le récit mais où la bêtise humaine contraste fortement avec les magnifiques espaces canadiens.
Livre magique, bouleversant, pour tous ceux et toutes celles qui aiment les grandes histoires...
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