La patience du diable

– Ouais, bah on sait jamais… Quand j’étais môme, ma mère me répétait toujours que le diable, c’est comme de laisser son chien seul avec un bébé dans une pièce : on est sûr qu’il se passera rien jusqu’au jour où il finit par mordre sans qu’on sache pourquoi.

J’ai plein d’histoires, c’est ça le problème. De quoi faire des tas de nouvelles, mais jamais tout un roman.
[...]
– Allez, Lulu, tu vas te l’écrire, ta belle histoire d’amour, t’en fais pas, et je suis sûr que ce sera même une saga interminable. Faut juste que tu te mettes dans le bon état d’esprit. C’est sous ta tignasse que ça se joue avant tout.

Quand j'étais môme, ma mère me répétait toujours que le diable, c'est comme de laisser son chien seul avec un bébé dans une pièce : on est sûr qu'il se passera rien jusqu'au jour où il finit par mordre sans qu'on sache pourquoi.

Le modèle de société autrefois sécurisant était ébranlé, les barrières tombaient, les interdits avec. C’était un appel inconscient à se laisser aller. A se faire emporter par son élan. Pris dans la vague de la violence, quand on n’a plus rien à perdre, pourquoi s’y refuser ? Pourquoi empêcher la libération ? L’explosion devenait irrémédiable.
Et si les choses ne changeaient pas rapidement, ce serait de pire en pire. La grogne sociale allait prendre de l’ampleur, la morale se fissurer, le pacte tacite de la civilisation risquait de voler en éclats. Petit a petit, les actions désespérées de certains se mélangeraient aux coups de force des autres.
Des guerres civiles avaient débuté ainsi. Le chaos naissait de cette confusion.

Après l'enquête, donc, elle avait compris qu'il existait des sentinelles dans le monde. Elle les appelait les Veilleurs. Une poignée d'hommes et de femmes incapables de se couler dans le moule, de se fondre dans la routine de la vie, et qui demeuraient un pas en retrait, ni tout à fait dans l'ombre ni en pleine lumière. Des êtres attentifs dont le rôle consistait à guetter, à s'assurer que la civilisation perdurait, que la violence ne se propageait pas. Car Ludivine en était à présent convaincue, la violence était épidermique. Hautement contagieuse. Il suffisait que la société soit fragile pour être contaminée. Les porteurs étaient nombreux. Et les temps actuels ne l'incitaient pas à la confiance.

Les êtres humains ne sont pas des machines que l’on peut pirater à loisir, la psyché humaine est beaucoup plus complexe que ça.

« Et personne a envie de déconner avec des types qui arrachent la peau comme si c'était un putain d'emballage de Chupa Chups ! » Joseph - délinquant

La principale différence entre la fiction et la réalité dans les enquêtes criminelles se résumait à cela: dans la fiction tous les procédés possibles étaient mis en action, toutes les analyses, sans se soucier du temps, de la faisabilité et surtout du coût! Car pour la moindre scène de crime, il y avait tout un budget à étudier.

– Trois victimes retrouvées la gueule déformée par la peur, non, excuse-moi, par la terreur, toutes enfermées chez elles, et HPL qui nous conduit droit chez l’une d’entre elles en nous affirmant que c’est le diable qui l’a tuée de trouille ? Et tu sais quoi ? Les voisins d’un des morts à Paris, ils ont tous fait des cauchemars horribles la nuit du meurtre. Tous ! Tu trouves pas ça bizarre ?
– Tu veux qu’on lance un avis de recherche pour un mec avec des cornes et les pieds fourchus ? répliqua le colosse en riant.

Lorsqu'un homme ou une femme est confronté systématiquement au manque, à la peur du lendemain, qu'il ou elle est mis sous pression de tous côtés, se devant de surcroît d'être en parangon de vertu, de réussite, un modèle digne, et qu'au bout du bout, ce même système s'effrite dans ce qu'il a de plus rassurant : garantir la sécurité de chacun, alors ces hommes et ces femmes n'ont plus de raisons de contenir la pression qui a grimpé pendant tout ce temps. Ils explosent. D'une manière ou d'une autre. Et pour certains, c'est à travers la violence.