Et si nous démarrions cette chronique par un petit quiz ? Ce personnage est adepte des toits et des nuits. Les fenêtres, les portes cadenassées, les coffres forts les plus hermétiques ne savent pas lui résister. Il défraie la chronique journaliste de ce début du XXème siècle. C'est un grand séducteur, il a beaucoup d'humour, laisse ses cartes de visite sur les lieux de ses forfaits et tire sa révérence devant l'ordre établi. Ah ! Dernier petit détail, ce personnage a réellement existé. Vous avez cinq secondes pour deviner qui se cache derrière ce portrait. Arsène Lupin ?! Mais non, vous n'y êtes pas du tout. Arsène Lupin n'a jamais existé, en revanche celui-ci aurait inspiré Maurice Leblanc pour construire son personnage de prédilection, bien qu'il s'en soit toujours défendu.
Non, ici je vous présente le fameux Alexandre Jacob, personnage réelle. Salutations, s'il vous plaît pour lui !
Cette merveilleuse BD m'a enchanté comme dans les récits de Maurice Leblanc, à la différence qu'ici le personnage principal est construit dans une dimension sociale, anarchiste, révoltée qui lui donne une épaisseur palpable, nous venons à lui avec empathie, faisant presque passer Arsène Lupin pour un cambrioleur d'opérettes.
La BD se tient en cinq chapitres. Chacun de ses chapitres est un feed-back qui commence sur ce procès de 1905 où Alexandre Jacob tient quasiment lui-même sa plaidoirie de manière éloquente et brillante, plaidant non pas sa cause personnelle mais celle des autres, les laissés pour compte, celle qui le tient debout et le fait marcher en équilibre sur l'arrête des murs, les toits, les faitages comme les chats de gouttières...
Ses allers-retours entre passé et présent nous amènent tout d'abord à l'enfance. Alexandre Jacob a treize ans. Il a des étoiles plein les yeux, traîne sur les quais du port de Marseille, lit Jules Verne, rêve du grand large, rêve d'embarquer et de partir. Ce sont des étoiles qui seront vite éteintes lorsqu'il embarquera. C'est là que son coeur d'éponge entend une forme d'injustice autour de lui, sur les docks, sur les embarquements. C'est là qu'il se rend compte très vite que le monde ne ressemble pas à l'image qu'il s'en faisait.
Matz, le scénariste nous peint une histoire totalement rocambolesque, violente, émouvante aussi, avec un personnage magnifique, intelligent, élégant, entier, à fleur de peau, avec une toile de fond sociale et politique très réaliste... Les dessins de Léonard Chemineau sont magnifiques, les personnages, les espaces, la dynamique dans laquelle l'histoire s'anime, va et vient, les villes portuaires, les toits de Paris, le bagne de Cayenne, tout cela qui va et vient dans le coeur tourmenté et aimant d'Alexandre Jacob...
Quelquefois, la vie tient à un fil, une façon de grimper sur un toit, poser les pas sur des faitages avec en dessous la ville de Paris qui bruit. À quoi ressemblait cet enfant naguère qui rêvait d'océans et d'îles, est-ce qu'il marchait déjà en équilibre sur le bord des quais, les pieds à quelques millimètres du vide, cet enfant devenu adulte qui aime, étreint contre son coeur la femme qu'il aime avec autant de fougue qu'il éventre et pille les coffres forts des riches bourgeois ? À quoi tient une main tendue d'un enfant vers la vie qui est devant ?
Parfois dans ses pérégrinations de grimpe en l'air, avec élégance Alexandre Jacob renonce lorsqu'il aperçoit qu'il est entré dans un endroit digne de son respect... J'ai alors entendu comme une petite chanson, celle de Georges Brassens, Stances à un cambrioleur...
Le bagne est une parenthèse de dix-huit ans. Une façon d'écrire pour continuer à vivre. Les mots sont des scies qui torturent les barreaux de sa prison. Derrière sa fenêtre, la mer est immense, ses désillusions aussi. Son cœur bat pourtant. Et c'est un bruit magnifique qu'on saisit dans le silence des murs et les aquarelles de Léonard Chemineau.
Plus tard, après le bagne, longtemps plus tard, la vie continue jusqu'au bout, ce qui compte pour Alexandre Jacob, c'est d'être libre de son destin jusqu'au bout, jusqu'au bout, jusqu'au bout...
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Je ne connaissais absolument pas cet homme et je suis bien contente de l'avoir découvert de façon totalement inattendue. Apposée d'un petit coeur par la biblio communale, je me laisse tenter pour cet emprunt et finis rapidement par comprendre que c'est une bien belle biographie d'un révolté dont les valeurs sont principalement dédiées aux autres et à la lutte des classes sociales. C'est fort, c'est fou, il a vécu mille vies, ce m'sieur ! Mille vies de petit mousse à multirécidiviste au bagne pour lesquelles il aura vécu et survécu. Très bonne découverte.
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Voici une lecture qui me donne envie d'en faire plein d'autres. Je découvre le nom d'Alexandre Jacob. Certes j'avais déjà entendu parler des anarchistes du début du XXème siècle, mais sans connaitre leur nom, ni leur parcourt.
J'ai donc appris beaucoup de chose au travers de ces quelques pages de BD : sur ce qui faisait que des gens basculaient d'un côté ou de l'autre de la légalité. Parce que la liberté était la chose la plus importante.... mais aussi la dignité humaine.
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