Orthodoxie

Il est bien futile de faire valoir que l'homme est petit comparé au cosmos, dans la mesure où l'homme a toujours été petit par rapport à l'arbre le plus proche.

Ceux-ci [les contes de fées] me semblent être ce qu'il y a de plus entièrement raisonnable. Ce ne sont pas des fantaisies, tout le reste auprès d'eux n'est que du fantastique. Comparés à ces contes, la religion et le rationalisme sont tous deux anormaux bien que la religion soit vraie anormalement, et le rationalisme anormalement faux. Le pays des fées n'est pas autre chose que la patrie ensoleillée du sens commun. Ce n'est pas la terre qui juge le ciel mais le ciel qui juge la terre; si bien que, pour moi du moins, ce n'est pas la terre qui critique le pays des elfes mais celui-ci qui critique la terre.

Tel est l'aliéné que nous montre l'expérience; c'est ordinairement un raisonneur et qui, très souvent, raisonne avec succès. [...] Il est enfermé dans la prison nette et claire d'une idée: son esprit est aiguisé jusqu'à la souffrance mais sur un seul point. Il n'a ni l'hésitation ni la complexité de l'être bien portant.

L'anarchie nous adjure d'être d'audacieux artistes créateurs et ne veut se soucier ni de lois ni de limites. Mais il est impossible d'être un artiste si l'on n'a pas souci des lois ni de limites. L'art est limitation ; l'essence de toute peinture c'est le cadre. Si vous dessinez une girafe, vous devez la dessiner avec un long cou. Si, créateur audacieux, vous vous donnez la liberté de la dessiner avec un petit cou, vous découvrirez qu'en réalité vous n'êtes pas libre de dessiner une girafe.

Le conte de fées envisage ce qu'un homme saint d'esprit ferait dans un monde de fous. Le roman réaliste et prudent d'aujourd'hui envisage ce qu'un homme essentiellement fou ferait dans un monde insignifiant.

Le révolutionnaire moderne, parce qu'il est un sceptique absolu, est toujours en train de subvertir ses propres subversions. Dans son ouvrage sur la politique, il attaque ceux qui foulent au pied la moralité, et, dans son ouvrage de morale, il accuse la moralité de fouler au pied les hommes. En conséquence, le révolté moderne est devenu pratiquement incapable de tout projet de révolte. En se révoltant contre tout, il a perdu le droit de se révolter contre quoi que ce soit.

L'ancienne humilité incitait l'homme à douter de ses efforts, ce qui pouvait le pousser à travailler davantage ; la nouvelle humilité, elle, incite l'homme à douter de ses objectifs, ce qui l'amènera à cesser complètement de travailler. [...]
Les railleurs d'autrefois étaient trop orgueilleux pour se laisser convaincre ; mais ceux d'aujourd'hui sont trop humbles pour avoir une conviction.