Quand on ouvre un roman de science-fiction écrit vingt ans auparavant, on peut souvent s'attendre au pire : vingt ans ce n'est pas assez pour que le vintage l'emporte sur le ridicule.
Eh bien celui-ci n'est ni l'un ni l'autre, il se tient très bien, les artefacts techniques sont assez discrets, à l'appui d'une anticipation basée sur des évolutions de l'espèce humaine.
La toile de fond réside précisément dans une évolution en cours, qui bouleverse les équilibres de la société : l'arrivée progressive d'une génération d'humains génétiquement modifiés pour être amphibies. Sans être très approfondi, cet élément pose des questions de fond sur la différence, et sur le changement social.
Mais le coeur du roman, c'est le don qu'a l'héroïne de se déplacer dans les « lignes » de réalités parallèles. Don fort utile mais en réalité profondément tragique, puisqu'elle a maintes fois perdu toutes les personnes auxquelles elle tenait en s'éloignant trop de la « ligne principale » (
mainline en anglais), sans savoir la retrouver.
La déclinaison des questions existentielles qui en découlent n'est pas très originale (s'attacher et sacrifier sa liberté, au risque de tout perdre malgré tout ?) mais elle est plaisante, et par ailleurs elle s'imbrique dans une intrigue palpitante (difficile de lâcher le roman), très dense et pleine de jolies trouvailles.
Les héroïnes s'en sortent un peu trop souvent grâce à la dextérité très abstraite du hacker de service, dont les cyber-escapades un peu oniriques tiennent à la condition qu'on leur accorde une dimension métaphorique vaguement cyberpunk (et je maintiens mon avis du premier paragraphe, même si je reconnais que ces passages pourraient agacer).
Dernier mot sur le genre des personnages. J'ai très peu lu de science-fiction écrite par des femmes et je tente de combler mon retard. Je pense que j'aurais eu du mal à trouver sous la plume d'un homme le lien particulier qui se tisse progressivement entre les trois personnages principales, deux femmes et un homme.