Citations sur Le crépuscule des pensées (129)
Si l'on admet dans l'univers un réel infinitésimal, tout est réel ; s'il n'y a pas « quelque chose », il n'y a rien. Faire des concessions à la multiplicité et tout réduire à une hiérarchie des apparences, c'est manquer du courage de la négation. La distance théorique et la faiblesse sentimentale qu'on a pour la vie conduisent à la solution moyenne des degrés de l'irréalité, à la fois pour et contre la nature.
Si la souffrance n'était pas un instrument de connaissance, le suicide deviendrait obligatoire. Et la vie même – avec sa douloureuse inutilité, son obscure bestialité qui nous traîne dans les erreurs pour nous accrocher, de temps en temps, à une vérité – qui la supporterait, si elle n'offrait un spectacle de connaissance unique ? En vivant les dangers de l'esprit, nous nous consolons, en intensités, de l'absence de vérité finale.
Qui, qui pourrait attendre un mortel sans mourir ? On marche à sa rencontre pour vivre, mais peut-on « vivre » auprès d'un mortel ? Il est terrible de ne pas remarquer que, pour échapper à la mort, on court après ceux qui meurent !
Je doute que Dieu ait fait Ève d'une de nos côtes car, dans ce cas, nous devrions nous accorder avec elle ailleurs qu'au lit... Mais, à dire vrai, n'y a-t-il pas, là aussi, tromperie ? Ne sommes-nous pas les plus éloignés l'un de l'autre, côte à côte dans cette quasi-identité ? D'où viendrait, autrement, ce penchant obscur et irrépressible des heures troubles à déverser des pleurs secrets sur le sein des femmes perdues dans de vieux hôtels ?
Après minuit, on pense comme si l'on n'était plus en vie – dans les meilleurs des cas – comme si l'on n'était plus soi-même. On devient un simple outil du silence, de l'éternité ou du vide : on se croit triste, sans savoir qu'ils respirent à travers soi. L'on est victime d'un complot des forces obscures, car une tristesse ne peut naître d'un individu si elle ne peut l'habiter : tout ce qui nous dépasse prend sa source en dehors de nous, autant le plaisir que la souffrance. Les mystiques ont rapporté à Dieu le débordement des délices de l'extase, parce qu'ils ne pouvaient admettre que l'insuffisance individuelle fût capable de tant de plénitude. Il en va ainsi de la tristesse, et du reste. On est seul, mais avec toute la solitude.
Il est des gens si bêtes que si une idée apparaissait à la surface de leur cerveau, elle se suiciderait, terrifiée de solitude.
Le monde est un Non-Lieu universel. C'est pourquoi vous n'avez nulle part où aller, jamais...
Il y a tant de noblesse cruelle, et tant d’art, dans le fait de dissimuler ses souffrances à ses semblables, de jouer le rôle d’un cancéreux espiègle…
Dans l’ennui, nous ne sommes pas plus que le monde, mais tout aussi peu que lui : c’est une correspondance de deux vides.
Combien de temps « dure » pour un homme une vérité ? Pas plus qu’une paire de bottes. Il n’y a que les mendiants qui n’en changent jamais.