La philosophie est l’expression de l’inquiétude des hommes impersonnels.
J’aurais voulu que la vie circulât en moi avec une plénitude insoutenable, qu’elle y dessine ses mouvements anonymes avant l’individuation, désir exclusif de la vie d’être partout, et d’être parallèle à la mort. Cette vie aurait palpité si fort en moi que son essor aurait été irradiation, explosion de rayons lumineux, démence de vibrations.
Vie, pseudonyme de Dieu ?
C'est un plaisir de penser que seule l'imperfection peut encore nous apprendre quelque chose.
Y a-t-il eu des êtres qui aient réalisé et leurs possibilités et celles de la vie, afin de venger les désirs inaccomplis de tous les autres ?
Ah ! comment renverser un jour cet univers dans un frémissement universel !
Dans le silence des salles d’attente, le destin sépare les hommes comme des espèces irréductibles, parce que là ils savent l’essentiel les uns des autres, sans que ne viennent l’émousser le nom, la profession et l’âge. Et quand je pense à l’attitude volontairement ou involontairement réflexive, aux fronts pensifs sous lesquels se rumine l’aveu de la maladie, dite, répétée à l’infini, crue, unique, alors me passent par-devant les yeux, par les nerfs et par le sang, envahissant mes souvenirs et mes pensées, un convoi de visages crispés, une somme déconcertante de rides, qui veulent s’enfouir en moi, saper mon corps et s’établir comme le berceau d’une amertume infinie. Et je suis écœuré par cette cohorte de rides, par ces airs de saltimbanque, grotesques et funèbres, par cette promiscuité inopportune, et je suis dégoûté par mon impuissance à rasséréner un seul de ces visages, à rester seul face à tant d’hommes seuls, rongés par la maladie, vaincus par elle et abattus par le monde dans lequel la maladie les a introduits. Car la maladie est une révélation trop grande pour tous ces hommes qui attendaient trop peu de la vie pour comprendre de la maladie autre chose qu’une catastrophe. Si peu d’hommes méritent d’être malades, que c’est un non-sens absolu qu’autant d’hommes souffrent.
Il n’est écrit nulle part que les dernières larmes sont les plus amères mais ce l’est sur toutes les portes et sur tous les murs visibles et invisibles de l’univers, que le regret le plus profond et le plus secret est de ne pas avoir aimé la vie.
La mauvaise conscience résulte d’une atteinte volontaire ou involontaire à la vie. Tous les instants qui n’ont pas été des instants d’extase devant la vie se sont additionnés dans la faute infinie de la conscience. La vie nous a été donnée pour mourir en extase devant elle. Le devoir de l’homme était de l’aimer jusqu’à l’orgasme. Les hommes devaient travailler à construire ce second paradis ; mais aucune pierre n’en a encore été posée ; rien que des larmes.
Nous sommes sur la voie de la divinité chaque fois qu’en nous la dialectique n’a plus cours, et que les antinomies s’arrondissent dans la voûte de notre être, imitant la courbe de l’azur céleste.