Toutes les jeunes filles rêvent de mariage, d'amour, et elle ne faisait pas exception. Comme les autres, elle avait espéré qu'un jour viendrait l'homme qui l'aimerait et qu'elle aimerait. Mais, depuis la révélation du crime de son père, de ce poids de honte qui était sur elle, elle ne rêvait plus et n'envisageait qu'un avenir solitaire.
Chaque mot atteignait Lorraine en plein cœur. Evoquées par les paroles de sa tante, des images défilaient devant elle; elle voyait son père, criant son innocence aux juges; sa mère qui n'avait pu continuer à vivre dans la maison de santé où l'on met les folles... et un long gémissement muet montait en elle.
Il faut beaucoup de courage, de noblesse d'âme, pour supporter la laideur, l'infirmité, ces injustices de naissance. Mais ce qui, chez une autre, eût pu être compensé par l'élévation de l'esprit ne lui avait enlevé aucun des appétits de vivre d'une façon ardente et passionnée.
Quand on est, comme moi, tout le temps allongée et très souvent seule, on a le temps de penser, de réfléchir. Et j'ai compris que ce qui guidait ma patronne, ce n'était ni le devoir ni la dignité, mais seulement la vanité, le désir qu'on la crût supérieure.
Il semblait impossible que la même mère eût enfanté deux enfants aussi différents. A l'une la beauté, les succès, les joies de la vie; à l'autre... rien. L'une était entrée dans la vie par une porte riante et fleurie, l'autre par la porte du malheur.