Nantes pittoresque et disparu

C'est entre les pages de ce vieil et élégant broché, "Nantes pittoresque et disparu", que finalement s'est peut-être réfugié l'âme de "Namnète", "la ville au vin".
C'est que, paru en 1947, à "la renaissance du livre", l'ouvrage, plus qu'un livre d'Histoire, est un recueil d'anecdotes et de vagabondages.
Et, que les magnifiques illustrations d'Octave Ménardeau, crayonnant la vieille ville en partie détruite par les bombardements de 1943, y ajoutent encore un précieux cachet d'authenticité au texte de Coarer-Kalondan.
Edmond Coarer se voulait être l'héritier spirituel des druides, bardes et ovates de Petite-Bretagne, il prit ainsi le nom celtique de "Kalondan".
Il nous offre ici une belle ballade à travers Nantes au fil du temps et de ses inspirations.
Le livre est charmant mais il n'est pas un livre d'Histoire.
Pourtant l'érudition de son auteur en fait une précieuse évocation.
Car ce livre est à la confluence de trois époques, celles des ducs de Bretagne, de la découverte du nouveau monde et des temps modernes.
L'ouvrage vient aussi se placer sous l'égide de quelques écrivains nantais contemporains de Kalondan : Marc Elder, Bernard Roy qui sont cités à plusieurs reprises, et plus nettement encore Jean Sarment, l'auteur de "Jean-Jacques de Nantes", qui signe ici une belle préface.
L'origine de la ville de Nantes s'est perdue dans les méandres du temps.
La première pierre de son port fût posée au VIème siècle par l'évêque Félix et les ducs poursuivirent les travaux du saint-homme.
On dit même qu'à cette époque, l'impénétrable forêt qui bordait la ville à quelques pas du Martray, l'Argoat, abritait un dragon qui se repaissait du cadavre des malheureux forestiers et autres téméraires.
La mâchoire de la bête aurait été conservée dans le trésor de la cathédrale jusqu'à la Révolution où il disparut.
Chercheurs, à l'oeuvre !
L'anecdote redonne vie à la cité, lui rend son passé.
Une riche galerie de personnages hauts en couleur réapparaissent des brumes de l'oubli au détour de chaque phrase.
La vieille ville renaît sous la plume de Kalondan, ses vieilles chapelles, ses fontaines, ses places ...
Un très beau passage s'intéresse aux statues allégorique du palais de Crucy : la Loire, l'astronomie, l'abondance, l'Amérique, l'Afrique, l'Asie, l'Europe, la prudence et la ville de Nantes, ainsi que celles des quatre marins bordant la façade est du bâtiment, du côté de la place du "port au vin".
Et la silhouette de Jacques Cassard surgit ainsi au détour du mot.
Car la mer, comme la Loire est omniprésente dans l'ouvrage de Kalondan.
Et, les personnages, les silhouettes du livre sont souvent façonnées par le vent du large.
Les mots y sont d'ailleurs rythmés par quelques morceaux choisis de chansons de marins.
Ceux que Kalondan appelle les chevaliers du grappin sont ici à l'honneur : Jean Vié, Roland Tiercelin, Jean Faber et bien sûr Julienne David qui avait bravé les balles des bleus, les boulets des vaisseaux de haut-bord, le sabre d'abordage des "Blacktars" et les pontons de Portsmouth ...
Sans avoir oublié, bien sûr, le roi Baco dont les enfants de Nantes se transmettent l'ubuesque histoire, et que Kalondan a raconté dans un autre de ses passionnants ouvrages ...
Mais un autre personnage, bien terrien celui-ci, vous réserve une belle surprise, un sourire inattendu ... le patron du restaurant à l'enseigne du "Morbihan", le père d'Aristide Briant ...
"Nantes pittoresque et disparu" est aujourd'hui un livre rare, et un peu cher à l'achat, mais si comme à moi la chance vous le glisse sous la main, ne boudez-pas votre plaisir.
La ballade s'annonce prometteuse de belles rencontres, d'instructifs détours et de riches raccourcis ...