L'élève pâle contourna le groupe et se fraya une route à travers les projectiles.
Il cherchait Dargelos. Il l'aimait.
Cet amour le ravageait d'autant plus qu'il précédait la connaissance de l'amour. C'était un mal vague, intense, contre lequel il n'existe aucun remède, un désir chaste sans sexe et sans but.
Dargelos était le coq du collège. Il goûtait ceux qui le bravaient ou le secondaient. Or, chaque fois que l'élève pâle se trouvait en face des cheveux tordus, des genoux blessés, de la veste aux poches intrigantes, il perdait la tête.
La bataille lui donnait du courage. Il courrait, il rejoindrait Dargelos, il se battrait, le défendrait, lui prouverait de quoi il était capable.
Elisabeth espérait un peu de résistance chez son frère. "Elle porte un nom de bille", avait-elle prévenu. Paul déclara qu'elle portait un nom illustre, une rime à frégate dans un des plus beaux poèmes qui existent.
Il souffrait. Il souffrait d'orgueil. Sa revanche sur le double de Dargelos était un échec pitoyable. Agathe le dominait. Et, au lieu de comprendre qu'il l'aimait, qu'elle le dominait par sa douceur, qu'il importait de se laisser vaincre, il se crêtait, se cabrait, luttait contre ce qu'il croyait son démon, une fatalité diabolique
Cocteau ! Qui lit encore cet auteur ! Et qui la connaît réellement ! Je relis ce livre à l'occasion d'un rangement de ma bibliothèque. A Paris, à l'époque contemporaine de Cocteau, début de XXème siècle, des enfants paraissent laissés à eux mêmes pour l'organisation de leur vie. Le monde des adultes est évanescent et, surtout, étranger à vouloir déchiffrer les hiéroglyphes de l'enfance. Émerge la peinture des attirances, du frère et de la soeur, du camarade attiré par ce couple à l'énergie insolite.
Un grand mystère y devenait limpide:ce n'était ni pour sa fortune,ni pour sa force,ni pour son élégance qu'Elisabeth l'avait épousé,ni pour son charme.Elle l'avait épousé pour sa mort.
De ce soir,il se tissa entre Paul et Agathe une étoffe de fils entrecroisés.Une revanche du temps renversait les prérogatives.Le fier Dargelos qui blessait les coeurs d'un amour insoluble se métamorphosait en une jeune fille timide que Paul dominerait.
La richesse est une aptitude,la pauvreté de même.Un pauvre qui devient riche étalera une pauvreté luxueuse.Ils étaient si riches qu'aucune richessse n'aurait changé leur vie.
L'infirme soupira.De longue date elle se reposait sur sa fille.Elle avait l'égoïsme de la souffrance.
Les privilèges de la beauté sont immenses.Ils agissent même sur ceux qui ne la constatent pas.
Cet amour le ravageait d'autant plus qu'il précédait la connaissance de l'amour.C'était un mal vague,intense,contre lequel il n'existe aucun remède,un désir chaste sans sexe et sans but.