Les histoires vraies dépassent l'imagination dans ce que l'homme peut avoir de déséquilibré et de dangereux.
Dans ces moments d'extrême solitude, je rappelle à ma mémoire une histoire que j'ai lue enfant, pas une histoire au fond, un poème que nous avions lu au catéchisme et qui avait été écrit dans les années soixante. Un homme mourait et, depuis le ciel, il contemplait sa vie qui se matérialisait comme une immense plage sur laquelle il voyait cheminer les marques de ses propres pas. A côté, il y avait d'autres traces de pas : celles de Dieu, qui l'accompagnait. Mais aux moments les plus difficiles de son existence, il n'y avait plus qu'une seule marque de pas. Alors l'homme demandait à Dieu pourquoi il l'avait abandonné quand il avait le plus besoin de lui. Et Dieu répondait : je ne t ai pas abandonné. Dans ces moments-là, c'est moi qui te portais.
Je danse pour qu’il reste un peu de vie et que tout ne disparaisse pas. Pour qu’il reste de la poésie et du rêve. Si j’arrête, peut-être que tout sera englouti. On ne sait pas. Alors je danse, sans étoiles et sans lune dans ce ciel d’après-midi blessé.
Pourtant la loi du plus fort, je connais; mais pas la loi du plus barje.
Je croise son regard presque blanc.
Au même instant ma tête éclate sous l'impact du coup que je reçois, par derrière.
J'entends un gémissement.
Le mien.
Je m'effondre comme une masse.
J'étais simplement quelqu'un qui n'avait pas de chance. Est ce que je devais m'attendre à ce que cela recommence un jour ? Je ne sais pas. Cela aurait tout aussi bien pu se passer pour de bon. Et puis je n'ai jamais pensé que j'étais marqué par le sort. Maudit. Peut-être que j'aurai dû me poser la question. Peut-être bien.
Mais aurais-je évité cela ?
Ils rient fort en se servant sans cesse. J'en boirais aussi, de cet alcool. Si seulement je pouvais rire et oublier.
Pour la première fois depuis des semaines, l'image de Lil se forme devant mes paupières lourdes. J'ai arrêté de penser à elle il y a longtemps. Quelque chose en moi s'est refusé à l'appeler dans cette ignoble cave depuis le printemps dernier, comme si j'allais l'abîmer. Comme si je pouvais la salir, lui transmettre mes pensées sordides ou mon corps meurtri.
Peu à peu, je suis devenu transparent. Les autres êtres transparents possibles sont peu nombreux dans l’univers. Les fantômes. Les ectoplasmes. La fumée peut-être. Comme eux, j’existe à peine et je me coule dans les recoins du monde.
A quoi cela tient. Aujourd’hui ma victoire sur les autres, il n’en reste rien. Et pour cela il a suffi de deux fous.