Citations sur Deux secondes en moins (49)
Mes deux copines parlent comme des moulins à paroles pour tenter de noyer mon silence. Elles essaient de me faire rire et y parviennent parfois en racontant des anecdotes du lycée : le prof de maths est fou à lier, celui d'EPS, misogyne, le stagiaire d'anglais trop beau, tout y passe, tandis que je m'efforce de les convaincre que, ça y est, je suis redevenue la Rhéa qu'elles aiment et connaissent si bien.
J'ai l'impression de jouer une comédie monstrueuse, de réciter un texte appris par cœur, de porter un masque.
- Je n'arrive pas à me remettre du départ d'Alex.
- ça prendra du temps.
- Oui, du temps, c'est toujours ce qu'on dit. Mais j'ai à la fois envie que ça aille mieux et que ça n'aille pas, tu vois ?
Dans la vie, on ne choisit pas tous les paramètres. On prend ce qui vient , pas vrai ?
En me couchant, je repense à Jeanne, seule à l'hôpital, et je colle le petit poème de Confucius juste au-dessus de mon lit. Je le répète en boucle, comme un mantra, avant de glisser dans le sommeil. (...) Nulle pierre ne peut être polie sans friction, nul homme ne peut parfaire son expérience sans épreuve.
- Satie. J'adore.
Moi aussi, j'adore, mais quelle tristesse si c'est le reflet du cœur d'Igor. Moi qui me croyais la plus malheureuse au monde, j'avais tort : nos chagrins se sont bien trouvés et traînent derrière nous comme des boulets.
- Du bien ? Tu déconnes ? Tu sais ce que c’est de passer des heures au bloc, de se réveiller avec des perfusions partout et des douleurs si atroces que tu voudrais mourir, de découvrir ton visage si gonflé qu’on dirait un pudding éclaté et de t’entendre dire que « vraiment, là, c’est beaucoup mieux ! » alors que tu ressembles aux frères Bogdanov, en pire ?
Obama ? Quel drôle de surnom ! Un peu mytho, cet Igor, non ?
Je comprends vite mon erreur : un perroquet s’égosille dans une cage et répète à qui mieux mieux :
- « Voi-là Rhéaaa, voi-là Réaaa ! »
Je n’ai pas trop le choix. Cet étrange animal semble faire partie de la famille.
- Bonjour Obama, dis-je en m’approchant de lui.
Cette phrase a le don de le mettre dans tous ses états. Il renverse sa coupelle de graines, s’élance contre les barreaux et bat des ailes vigoureusement.
-Arrête, Obama, sinon je mets le drap, articule-t-on soudain derrière moi.
- « Arrrrêêêtte Obama, répète l’oiseau, très énervé. Pas le draaap, pas le draaap ! »
Ma mère a toujours été incapable de répondre à mes interrogations de petite fille. Elle n’a jamais su pourquoi mon père était parti. Il lui a dit qu’il n’avait rien à lui reprocher, et il a claqué la porte.
Un, deux, trois, basta.
Moi, j’ai fait pareil du coup. J’ai claqué la porte de mon cœur.
Un, deux, trois, basta, plus de papa.
D'où il est, il n'a pas besoin d'être jaloux : je ne le remplacerai pas. Lui et moi, c'est comme Juliette et Roméo, unis au-delà de la mort, et plus encore.
Il fait doux. Le dernier quinze mai était si froid, si glacial. J'ai du mal à croire que trois-cent soixante-cinq jours se sont écoulés.
Huit mille sept cent soixante-seize heures.
Cinq cent vingt-cinq mille six cents minutes.
Trente et un millions et cinq cent trente-six mile secondes.
Sans Alex.
Les yeux me piquent, je ne veux pas craquer. Pas aujourd'hui.