Livre lu dans le cadre de l'Opération Jury Seuil Policiers
Je n'aurais certainement pas classé ce récit sous le terme de « policier », étiquette qui dessert cette magnifique histoire, mais plutôt sous celui de récit sociétal et psychologique.
Le meurtre initial, n'est ici présent, que pour présenter les personnages et donner à Eddie (le fils du tueur de l'étudiante), le statut d'enfant englué dans le passé de son père, n'ayant comme seul moyen de se protéger de cette histoire qui ne lui appartient pas, que de rester un enfant silencieux et solitaire.
Jack Branch, le professeur de lettres de la classe dont fait partie Eddie connaît bien le mal puisqu'il l'enseigne : ou du moins son cours réside t'il dans le fait de faire connaître à ses jeunes élèves, peu enclins à la littérature, les formes sous lesquelles le mal est resté connu dans l'histoire, et réussir à captiver leur attention.
Suite à la
disparition momentanée d'une élève de sa classe, Jack Branch se sent envahi d'une mission de protection auprès d'Eddie :
( p 81 )Moi je ressentais tout autre chose : la force persistante d'une lourde hérédité, la manière dont la brève
disparition de Sheila Longstreet avait, en quelque sorte, exhumé le père d'Eddie Miller, la stigmatisation plus grande que jamais d'Eddie, victime de la mémoire d'une ville, affublé d'une pancarte invisible autour du cour qui proclament « le fils du tueur de l'étudiante ». ( p 81 )
Sous couvert d'aider son jeune élève, on se rend compte au fil du récit, que Jack essaie de déterrer une partie inconnue pour lui de la vie de ses parents, qui lui permettrait de comprendre pour quelles raisons les relations avec son père sont si « distantes » malgré des contacts familiaux réguliers, faits de repas mensuels ou l'un et l'autre discourent plus d'histoire en général que de la leur en particulier.
( p 15) « L'incident » s'était produit douez ans plutôt, alors que j'étais en pension, et même si j'étais encore jeune, j'aurais dû en déduire que le monde dans lequel je vivais avait des fondations bancales et invisibles – j'étais un promeneur qui marchait sur un ponton au bois pourri caché sous l'eau. ( p 15)
L'introspection poussée vers laquelle l'amène cette aide à la vérité qu'il propose à son jeune élève, fait de lui un homme plus heureux : se sentant investit de cette mission, il revit, il existe et encourage Eddie à se sortir de ce labyrinthe malsain en écrivant sur l'histoire de son père.
( p 97) Je me demandais, si pour Eddie, la meilleure thérapie ne consisterait pas à déterrer le cadavre de son père, celui qu'on l'obligeait à traîner derrière lui depuis toujours, et à l'examiner attentivement. ( p 97)
Il devient alors à son tour celui qui aide et qui peut être reconnu en tant que tel. Mais cet investissement émotionnel est comme un piège dans lequel il s'enferre lui-même, ressentant alors la souffrance de n'être plus le seul, l'unique personne, dont a besoin Eddie pour s'extirper de son passé.
( p 223) Soudain, Eddie me donna l'impression de considérer que Drummond l'avait pris sous aile, de s'y blottir volontiers et douillettement, et de n'avoir plus besoin d'autre soutien. ( p 223)
Se sentant rejeté en quelque sorte par Eddie, qui a su s'ouvrir à d'autre personnes promptes à l'aider, Jack Branch devient jaloux quand il se rend compte que son propre père à ouvert sa porte et son coeur à Eddie ; jalousie qu'il lui est impossible d'admettre mais qu'il fait subir indirectement à son jeune protégé en inventant, pour son cours, un personnage censé faire partie de l'histoire qu'il enseigne, alors que ce dernier n'est que la démonstration de son courroux et de son malheur de ne plus être le « sauveur » d' Eddie
( p 312) Il s'appelait Emilio Corazon, et, dans un des célèbres contes de la tribu Serrano, il dissimule sa véritable nature sous de faux airs juvéniles, se sert de son passé tragique pour s'insinuer dans les bonnes grâces d'une grande famille, et à parti de là, provoque par lui-même de nouvelles tragédies. ( p 312)
Comment admettre que lui, l'homme faisant partie de l'aristocratie, puisse être « trahit » par Eddie, vivant parmi les plus démunis, en lui volant la complicité que lui-même n'a jamais réussi à établir avec son père.
(p 226) En cet instant, je fus traversé par le sinistre pressentiment que je rencontrais tout à coup une manifestation du mal différent de celle que j'exposais en cours, un mal venu de loin, et en cela même, d'une perniciosité beaucoup plus subtile, un mal plein de drames et de collusions, d'actions commises par des pantins contrôlés par des marionnettistes manipulateurs en diable. (p 226)
Sous couvert d'essayer de rendre une vie normale et un avenir meilleur à un enfant victime par procuration du comportement meurtrier de son père,
Thomas Cook nous décrit la thérapie que Jack Branch, professeur faisant partie de l'aristrocratie locale, fait à son insu, jusqu'au moment où il réalise qu'il court en fait après sa propre histoire et sa raison d'exister.
Dommage que ce livre soit classé dans la catégorie « policier » : il a d'avantage sa place sur l'étagère « Littérature ».