Je fume au lit. Parfois la cendre tombe sur les draps. Ca fait des petites taches grises que je ne frotte plus. Je dors avec mes cendres ; comme dans un tombeau.
On pouvait lui faire confiance, il portait des lunettes. Papa aussi en portait mais c'était un leurre, un déguisement pour mettre son fils en confiance, un masque de clown sur un visage de taulard.
J'ai un goût sale dans la bouche. Un goût animal un peu dégoûtant. Je le préfère pourtant à celui que j'ai quand je me couche, celui des autres et de leur crasse.
Je ne suis pas saine. Je pue le trottoir. La fille qui a passé sa vie à faire ça, qui ne sait rien faire d’autre. Je crois que c’est ce qu’ils veulent. Ils peuvent me mépriser bien fort. Ils se sentent civilisés avec moi. Ils se sentent puissants. Ils s’excitent sur une vieille peau de boulevard qui sent la syphilis et le vin chaud. Ça les rassure. Ils goûtent à la misère. Ils se salissent un peu. En rentrant, ils prendront une douche, ils oublieront tout ça.
Quand je me lève, mes dents sont grasses.
Si au moins j'étais vraiment seule... N'y comptez pas. On est seul au milieu des autres. On est seul au milieu de leur solitude. On est seul avec les autres ; ça pue, ça grouille, ça transpire. Vous ne les fuirez pas, vous ne les approcherez pas non plus. Ils sont là seulement, aussi seuls que vous.
Il a quelque chose de singulier, quelque chose d'émouvant. Il a des cernes plein les yeux, comme si les larmes s'étaient doucement incrustées autour des globes. Oui c'est ça, les larmes auraient creusé la chair et l'auraient laissée violette en séchant. Une trace de tristesse séchée autour des yeux. Quelque chose qui ne passe pas, toujours prêt à jaillir on ne sait trop comment, on ne sait trop pourquoi.
Je n'ai pas de tendresse. C'est quelque chose que j'ai perdu. Même les mômes dans la rue, les gentilles têtes blondes ou brunes qui lancent des bouts de bois dans tous les sens, ne m'attendrissent plus. C'est de la gelée qui m'entoure. Comme si je me débattais au fond d'un gros pot de confiture. Ça colle à ma peau. Je ne peux pas m'en défaire. Je suis dans ce bocal-là, les joues collées à une grosse paroi en verre. On s'y écrase le front. Alors on attend son tour, que le couteau vienne, qu'il vous aplatisse sur le toast brûlant. De la boue sucrée, écœurante, qui vous colle à à peau.
J'ai perdu ma tendresse. Elle ne reviendra plus. Je suis trop vieille.
Estelle dit que les hommes honnêtes ça court pas les rues. Les autres, ils pensent qu'à vous traîner dans leur plumard ! En même temps, elle dit ça comme si elle connaissait mais Emmanuel il est sûr que ça ne lui est jamais arrivé ; elle lit les magazines.
vingt minutes de train . Premier wagon;troisième porte en partant de la fin. La sortie pour le métro est là.